Chapitre 33

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Les dernières notes résonnent, nos pompons s'immobilisent autour de Stacy et des applaudissements nourris saluent notre prestation tandis que je reprends mon souffle. J'ai le même sourire forcé qui me colle aux lèvres depuis avant et quand enfin les projecteurs s'éteignent, c'est une délivrance de le retirer. Je suis le groupe et m'installe sur le banc pour suivre le début du match. La fanfare de l'école se donne du mal pour mettre en scène l'entrée des joueurs sur le terrain. Quand c'est le tour de Jason de venir se pavaner comme un coq, les filles gloussent, moi, je tourne la tête. Il a le culot de me sourire et je préfère pas le voir faire.

Je sonde les gradins en face de moi et aperçois Ashley. Tout le monde lui a tourné le dos, alors je ne vois pas pourquoi elle s'inflige encore ça. Elle n'a plus personne à venir encourager. Un peu plus loin, mon regard se fixe sur la silhouette d'Elliot avachi sur son siège. Si ça peut te rassurer, on est deux à être heureux d'être là. Ça l'ennuie, mais il est bien là, rien que pour moi. Il se redresse soudain. J'ai l'impression qu'il me voit et c'est suffisant pour donner à mes lèvres l'envie de s'étirer à nouveau, sans forcer cette fois. Rebecca, assise à côté de moi met un coup dans mon épaule.

— Je t'ai rarement vue aussi crispée Tina.

Sa remarque amuse Stacy qui rajoute une couche.

— Nan mais carrément. On aurait dit que t'avais un balai dans le cul sans déconner.

Hilarant venant de celle qui cite la Bible pour se justifier d'être coincée... Excédée, je me lève. La voix de Stacy bourdonne comme un acouphène dans mes oreilles.

— Oh te vexe pas Tina, c'est une blague.

Non, je ne me vexe pas. Ton avis, c'est la dernière chose qui m'importe pour être franche. Je suis plus à ma place, alors je préfère m'en aller. J'ai plus le cœur de faire semblant pour ce soir. Je trouve refuge dans le calme des vestiaires désertés. La porte claque derrière moi et j'inspire profondément avant de laisser mon corps glisser contre le métal froid de mon casier, ma tête perdue quelque part entre frustration et désenchantement. On sous-estime les bienfaits du silence dans ces moments.

Assise sur le carrelage froid, je rumine encore ma conversation avec Rebecca et Stacy. J'entends leurs voix hypocrites, leurs rires fielleux lorsqu'elles ont craché leur écœurement sur celle qui est sans doute notre amie ; le même écœurement que leur inspirerait sans conteste mon idylle cachée. Peut-être que ça me libèrerait si tout le monde savait, mais à quel prix ? Je serais "la fille qui", une bête de foire qu'on montre du doigt avec la bénédiction d'une majorité silencieuse qui a trop peur d'être la prochaine à l'affiche du cirque. Je le sais car la majorité silencieuse, c'est moi, du moins je l'étais, mais ça devient compliqué de le rester. Au milieu de ces questionnements sans fin, j'entends la porte du fond s'ouvrir. Mon corps se raidit en attendant de voir qui est à l'origine de cette intrusion. Pas toi, Stacy, j'aurais plus la force de t'affronter. Finalement, je souffle lorsque j'aperçois la touffe de cheveux d'Elliot au détour d'un casier.

— Si tu cherches les vestiaires des garçons, c'est de l'autre côté, dis-je avec amusement.

Ses yeux me dévorent et ce ne sont pas les paillettes de mon uniforme qui l'empêchent de voir clair.

— Tout compte fait, le vestiaire des filles me semble pas mal.

Il s'approche et je pose ma main sur son torse pour l'empêcher de venir trop près.

— Tu es lubrique, dis-je avec un sourire en coin.

Il est soudain un peu gêné et son regard fait des allers-retours avant de parler.

— Bon, hum, je sais pas ce que ça veut dire. Mais t'as pas l'air énervée, alors je vais le prendre comme un compliment.

Son ignorance me désarme. Je voulais rire mais il en profite pour me voler un baiser. Il se détache et fait un pas en arrière pour m'étudier. Il n'est pas dupe.

Goodbye MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant