Chapitre 37

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Rachel et moi continuons notre virée au centre commercial. On flâne entre les boutiques, admirant des vêtements qu'on ne pourra jamais s'offrir. Rachel me fait essayer toutes les teintes de rouges à lèvres possibles sous l'œil méfiant des vendeuses qui nous surveillent comme des voleuses. Nous sommes convenues que le rose n'était pas ma couleur, mais tant pis, je me sens revivre un peu. Pendant quelques heures, j'oublie, et elle aussi. Mais quoi ? Peu importe. Pour le moment, on soigne nos plaies, le reste est passé sous silence. On enlèvera les pansements plus tard.

Épuisées d'avoir trop marché, mais le cœur léger, nous décidons de nous rendre chez moi. Aucune voiture dans l'allée. En rentrant, mon regard se pose immédiatement sur le téléphone. La lumière rouge clignote et indique un message. J'empoigne le combiné et écoute. « Bonjour Mme Moore. C'est Christelle, du secrétariat du lycée d'Oakridge, blablabla. » Je roule les yeux, puis je jette un regard espiègle à mon amie en imitant la pauvre secrétaire. Il me suffit de presser sur le bon bouton et voilà la trace de mon méfait supprimée. J'espère que Rachel n'aura pas d'ennuis par ma faute, mais elle ne semble pas s'en inquiéter.

C'est la première fois qu'elle vient chez moi, alors elle regarde partout. Je l'invite à me suivre à l'étage. J'appréhende un peu de lui présenter le capharnaüm qui me sert de chambre. Finalement, ça n'a pas l'air de la déranger plus que ça. Elle s'étale sur mon lit, les bras en croix comme si elle était chez elle. Lorsqu'elle tourne la tête et aperçoit les photos de Mary au mur, elle oublie sa fatigue pour y jeter un œil.

« C'est Mary et toi ? » demande-t-elle en pointant une vieille photo.

Je hoche la tête et, face à son intérêt, je commence à lui raconter les anecdotes et souvenirs que ces clichés renferment. D'habitude, il n'y a qu'avec Elliot que j'en parle, alors maintenant, je suis trop heureuse pour pouvoir m'arrêter. Je lui raconte l'été dernier, lorsque Mary et moi sommes parties en douce pour voir Bon Jovi. Ses yeux pétillent en découvrant une Mary qui lui est étrangère. « J'aurais aimé la connaître mieux », me dit-elle à voix basse. Il est trop tard, et je lis le regret sur son visage qui s'affaisse un peu. On ne peut pas refaire le passé, mais le présent nous appartient, alors je m'ouvre. Je lui parle de David Lee Roth et d'Eddie van Halen. Je lui montre les vinyles que je cache. Ses sourcils s'élancent plus haut que possible devant les maquillages outranciers de Kiss et Mötley Crüe. À son tour, elle se confie et me parle de son amour pour Conan le barbare. Elle me dit qu'elle écrit un livre avec une guerrière rousse qui manie l'épée comme personne dans son royaume imaginaire. Je crois que c'est elle, cette héroïne en armure.

De retour sur mon lit, on fait des blagues nulles qu'on n'aurait jamais osé faire devant les autres. On réapprend à se connaître, à se connaître vraiment. Si demain un autre drame survient, on n'aura pas à regretter de ne pas avoir écouté, ou de découvrir trop tard à quel point celle en face de nous était chouette. J'attrape quelques magazines et on se met à les feuilleter pour affûter notre sens de la mode. Entre deux pages, on se goinfre. Une main tourne les pages, l'autre se sert dans le paquet de M&Ms posé entre nous. Rachel se sent soudain l'âme d'une styliste et ouvre mon armoire pour nous assembler des tenues que même Cyndi Lauper n'oserait pas porter. Agenouillées devant les étagères, on fouille entre les vêtements pour dénicher LA pièce qui viendrait parfaire ses chefs-d'œuvre. À force de creuser toujours plus loin, elle met la main sur un trésor.

Quand ses doigts tirent sur le tissu froid et rugueux pour l'exposer, elle comprend ce qu'elle vient de trouver. Cette veste en cuir qu'elle tient dans ses mains, je devais la rendre à Elliot, mais je ne l'ai jamais fait. Cet idiot a passé une semaine sans veste, après quoi il s'est décidé à en prendre une autre. « De toute façon, elle est abîmée », lui ai-je dit. Parfois, le soir, je l'enfile et me blottis dedans avant de dormir. Rachel détourne les yeux. Moi aussi j'évite de la regarder. Je n'ai pas envie qu'on se dispute à nouveau, pas maintenant, alors on se terre dans le silence.

Goodbye MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant