Chapitre 35

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Je découvre la nouvelle de mes exploits avec la même stupeur que celle qui possède la voix de Rachel. Est-ce que c'est elle ? Je colle la tête contre le panneau stratifié qui me garde en sécurité. Je ne vois rien, tout ce qui me parvient, c'est le reflet de Stacy et la voix de Rebecca. Elle est tellement heureuse de répéter ces demi-mensonges, que ça me déchire le bide au point de lutter pour ne pas sortir et aller lui coller la tête dans le lavabo. C'est plus qu'un nez cassé que je risquerais de causer et je renonce vite à cette folie macabre.

— Je te jure ! insiste Rebecca. C'est Jimmy qui les a vus.

Je ne me risquerai pas à demander par quel hasard Jimmy se trouvait dans les vestiaires des filles.

— Et... vous y avez cru ?

Cette fois, je n'ai plus de doutes, c'est bien la voix fragile et hésitante de Rachel qui sème le doute.

— Évidemment ! renchérit Rebecca. Pourquoi j'y croirais pas ? Tout le monde sait qu'il lui tourne autour depuis la rentrée ce crétin ! C'est logique, réfléchis !

Rachel demeure un instant silencieuse. Elle connaît la vérité, alors c'est le moment rêvé pour balancer ses secrets.

— Bah, désolée de vous décevoir... réplique-t-elle en secouant sa tignasse rousse. J'étais avec elle pendant le match... elle se sentait mal et je suis restée un peu avec elle...

Le silence qui suit ce mensonge nous rend toutes les trois sourdes mais on a chacune nos raisons d'être choquées. Rachel déteste mentir, pourtant chaque mot est porté avec aplomb comme si elle était persuadée du bien-fondé de son choix de maquiller la réalité. Pourquoi t'as fait ça, Rachel ?

— Je croyais que vous vous parliez plus ?, fait remarquer Rebecca qui est malheureusement moins bête que je ne l'espèrerais.

Mais Stacy se fiche de cette incohérence. Je vois ses sourcils se froncer dans la glace.

— Putain de merde ! Tu l'as raconté à combien de personnes ton histoire à la con ?!

— Je sais pas... cinq ou six, répond Rebecca qui semble bien mal à l'aise désormais. C'est ce petit merdeux de Jimmy, tout ça, c'est sa faute !

Leurs talons claquent sur le carrelage tandis que je vois la main de Stacy agripper le poignet de Rebecca pour la tirer vers le couloir.

— On n'en serait pas là si tu savais mieux tenir ta langue !, sermonne-t-elle en partant.

À présent seule devant les robinets alignés, Rachel lisse nerveusement une mèche derrière son oreille puis soupire. Je la regarde en silence, encore estomaquée par ses mensonges qui peut-être sauront me sauver. Balançant entre ma peur de sortir et mon envie de la remercier, je finis par me décider quand je la vois prête à s'en aller. Je pousse timidement le battant derrière lequel je suis restée trop longtemps cachée et lorsqu'elle me voit, elle sursaute. Elle détourne les yeux mais nos regards se croisent dans le miroir fêlé.

— Merci..., murmuré-je timidement. Merci de pas avoir dit la vérité...

Elle n'ose toujours pas me regarder et le silence devient lourd au bout de quelques secondes à attendre une réponse qui ne viendra pas.

— Rachel, je... J'ai pas..., bredouillé-je, incapable de former une phrase complète pour me justifier.

— Arrête, me coupe-t-elle soudainement. Je sais pas ce que t'as fait et... Je veux pas le savoir. Son regard se voile et elle ajoute enfin, Mais je sais ce que c'est, faire

des choses que les autres ne comprennent pas...

Surprise par cet aveu cryptique, j'étudie ses moindres expressions pour espérer comprendre. Son visage est marqué par la même mélancolie qu'elle a affichée les jours passés. Tes secrets, ils ont l'air plus lourds à porter que les miens. Je m'approche d'elle doucement, puis hésite de peur qu'elle prenne la fuite une fois de plus.

— Hé, Rachel... Tu peux tout me dire, je te le jure. Quoique ça puisse être, si tu as besoin de parler, je suis là, ok ?

Là pour toi, dans tous les cas, je l'ai toujours été, mais après ce que tu as fait, je te le dois plus que jamais. Ses pupilles brillent de plus en plus à mesure qu'elle retient les larmes qui malgré tout s'accumulent. Je la serre dans mes bras et elle se laisse aller contre mon épaule où ses pleurs se libèrent enfin. On reste ainsi enlacé sans un mot, scellant cette réconciliation inespérée. Elle se détache de notre accolade et masque rapidement les faiblesses qu'elle a trop exprimées à son goût. Elle essuie ses larmes avec ses manches, puis attrape ma main pour me ramener à l'évier.

— Je ne peux pas te laisser sortir d'ici dans cet état.

Elle dit cela et pour la première fois depuis trop longtemps, elle me sourit avant d'effacer les traces du mascara qui coulait sur mes joues. Je ne dis rien, je la regarde me redonner un semblant de dignité et mes lèvres s'étirent malgré moi. Tu m'as manqué. Quand elle a terminé, on contemple le reflet de notre amitié retrouvée. Elle se tourne ensuite vers moi et dit :

— Tina, je... Je suis désolée. Elle s'arrête un instant et rassemble le courage requis pour continuer. C'était stupide de réagir comme je l'ai fait... Je me sentais mise à

l'écart et je m'inquiétais. Je croyais que je voulais te protéger mais c'était l'orgueil qui parlait.

Peu importe la raison, ça me semble dérisoire. Je n'ai pas envie de m'attarder sur ce qu'on a mal fait, je veux juste qu'on apprenne à faire mieux.

— Rachel, j'aurais sûrement fait pareil à ta place.

Elle secoue la tête.

— Non, Tina. Tu n'aurais pas fait ça. Tu ne m'aurais pas abandonnée...

— Eh bien aujourd'hui, tu ne m'as pas abandonnée, rassuré-je.

Je glisse un sourire auquel elle répond avec tendresse.

— On devrait retourner en cours.

Oui, c'est là que les choses redeviennent compliquées. Je revois les visages moqueurs, les mots sur le tableau et je me sens incapable de les affronter. Mon amie devine la peur que je n'ose pas expliciter et s'approche de moi pour suggérer :

— On peut... On peut sécher les cours.

Mes sourcils se lèvent aussi haut qu'il m'est physiquement possible et elle pense m'avoir offusquée. Immédiatement, elle se défend d'avoir osé suggérer cela.

— Enfin, c'est pas que je cautionne, mais... Si tu veux pas aller en cours... Je veux dire, ça peut se comprendre, non ?

Je glousse et la rassure avec de gentilles taquineries.

— Oh Rachel, pas la peine de faire semblant. Tu en meurs d'envie !

— Peut-être bien... Je n'ai jamais séché les cours.

— Eh bah, on va changer ça alors !, dis-je avant d'attraper sa main et de la guider hors des toilettes.

C'est mon tour de devenir le petit démon qui murmure à l'oreille de quelqu'un.

Goodbye MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant