Chapitre 36

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On profite du vide laissé par la deuxième heure de cours pour exfiltrer le bâtiment. À force de sécher des avec Elli, je connais les couloirs à emprunter pour éviter de croiser les surveillants qui auraient vite fait de nous ramener en classe. Retour à la case départ, ne touchez pas vingt mille. Rachel regarde partout à la fois et respire comme un buffle à trop angoisser. On dirait moi lorsque je fillais en douce pour la première fois. Quand je lui fais remarquer pour détendre l'athmosphère, elle a tellement envie de rire que je lui fais les gros yeux pour l'empêcher de le laisser sortir. Alors qu'elle se détendait enfin, une voix dans notre dos finit par donner raison à ses craintes.

— Qu'est-ce que vous faites ?!

Merde... Visiblement, les conseils d'Elliot ne sont pas une science exacte. Rachel agrippe mon bras comme si j'étais sa bouée. Je crois qu'elle se voit déjà dans le bureau du directeur, un boulet au pied à devoir se justifier. J'inspire profondément et me tourne pour faire face au surveillant qui nous jauge.

— J'accompagne Rachel à l'infirmerie. Elle a mal au ventre.

— Votre professeur est au courant ?

— Mme Davis ? Oui, bien sûr. On peut y retourner si vous souhaitez en être sur.

J'ignore d'où me sort ce culot mais je m'en accomode bien. J'affiche le sourire le plus angélique possible. Ce qu'il y a de bien quand on est une bonne élève qui flirte avec les problèmes, c'est que personne ne vous soupçonne jamais. On ne remet pas votre sincérité en question. Pourquoi le ferait-on ? Toujours cramponnée à mon bras, Rachel me dévisage comme si elle ne me reconnaissait pas. Moi non plus si ça peut te rassurer. Il faut dire que je n'ai pas ménager mes efforts pour épagner mes amies de l'influence douteuse qu'Elliot a sur moi. Le surveillant nous analyse à tour de rôle. Un regard sur moi, puis sur elle, et ainsi de suite. La mine blafarde affichée par Rachel suite à mon coup de bluff joue en notre faveur.

— Ça ira. Prenez soin de votre amie, elle est bien pâle, nous dit l'homme avec un sourire empathique qui me donnerait presque honte d'avoir menti.

On attend qu'il disparaisse au coin du couloir, puis, on se retrouve à se pinçer le nez pour pas se mettre à rigoler. Ses joues sont rouges et prêtes à exploser tellement elle lutte pour se retenir. C'est nerveux mais c'est aussi l'euphorie que procure la sensation d'être seul maître à bord. On se remet en route mais cette fois elle ne regarde plus partout, elle me fait confiance. On passe devant l'infirmerie et on échange un regard complice en sachant que ce n'est pas là qu'on va.

Quand on quitte enfin l'enceinte du lycée, on pousse toute les deux un long soupire de soulagement. Enfin libérée, on a des ailes qui poussent dans notres dos lorsqu'on marche sous le soleil. Je ferme les yeux et je prend une grande bouffée d'air, hélas, une fois l'adrénaline retombée, je me rappel pourquoi on en est là. à nouveau j'ai une boule dans l'estomac qui me dégoute de moi, mais cette fois, Rachel est là. Elle passe son bras autour du miens et c'est son tour de devenir ma bouée.

— Viens, on va au centre commercial.

En chemin, elle m'épargne les questions gênantes et les leçons de morale à deux balles. Je suis toujours pas certaine de comprendre quelles ont été ses motivations, mais être avec elle suffit à me contenter. J'attrappe sa main et serre ses doigts pour lui dire combien ça compte qu'elle soit là. Ses muscles tressaillent et je sens qu'elle le remarque. En continuant de marcher, on rattrappe un peu du temps perdu.

Le centre commercial est désert à cette heure de la journée. C'est comme s'il n'était là que pour nous. Main dans la main, on parcoure les allées bordées de magasins aux devantures plus criardes les unes que les autres. Rien n'est trop tape-à-l'œil quand il s'agit d'attirer des clients.

— Alors, où est-ce-que tu veux aller ?, me demande Rachel.

— Franchement je m'en fiche, du moment que j'ai pas à attendre ce connard de Cody, dis-je en hochant les épaules.

Elle préfère ne pas rebondir dessus et regarde les enseignes qui pourraient me changer les idées... où les siennes. Je la vois faire mine d'hésiter mais son regard retourne sans cesse au même endroit sans oser proposer. Rachel, c'est une suiveuse, elle n'a pas l'habitude de prendre des décisions. Il faut dire que passer autant de temps avec Stacy qui a un plan pour tout, ça n'aide pas à faire ses propre choix. Rassure-moi, tu ne craint pas que je te juge au moins ? Un sourire en coin, je suis ses yeux jusqu'à la librairie et lui donne un coup de pouce.

— On pourrait aller à la librairie, proposé-je comme si l'idée venait de moi.

Un large sourire illumine son visage constellé de taches de rousseur, et me suffit à savoir que c'est un oui. On entre dans la boutique et je passe en revue les rayons. Quelques secondes à peine et elle a déjà disparue. Je tourne la tête à m'en bloquer la nuque mais je ne la vois nulle part. Une chevelure comme la sienne ne se rate pas pourtant. J'avance entre les étagère et finit pas la retrouver deux livres déjà en main. Le choix est trop vaste, elle est incapable de s'arrêter là. Elle s'étire pour en attraper un troisième et se penche pour saisir le quatrième. La voila débordée. Lorsqu'elle remarque que je suis là, sa frénésie l'embarasse mais moi elle me fascine car pour la première fois je la vois qui se dévoile.

— Tu lis beaucoup ? , demandé-je

Elle comprend que mon intérêt pour sa passion ne cache aucune malice, que de la tendresse et elle se montre d'avantage.

— Oh oui ! Les livres, c'est toute ma vie. Ses yeux pétillent lorsqu'elle me répond. C'est un peu mon échappatoire, tu vois. Quand le monde devient trop dur à supporter, hop, j'ouvre un bouquin et plus rien n'a d'importance.

Plus rien n'a d'importance jusqu'à ce qu'on referme le livre. Là, la réalité vous rattrape et vous gifle encore plus fort qu'avant pour vous punir d'avoir osé la fuir. On peut toujours en lire un deuxième, puis un troisième, et ainsi de suite en attendant que le mal passe. Sauf que quand le mal ne passe pas, on se retrouve coincé à ne pas savoir comment affronter les choses, alors on se cache. Je le sais car je fais pareil avec la musique. De quoi te caches-tu Rachel ? La question me brule les lèvres mais je ne la pose pas. Je ne veux pas abîmer l'insouciance fragile qu'elle éprouve entre ces livres.

Elle scanne l'étagère de haut en bas lorsque soudain, ses yeux s'arrêtent sur une boite rouge qu'elle a honte de convoiter. Je me penche vers ses pieds et attrape l'objet qu'elle n'ose pas regarder. On peut y voir un guerrier affrontant un terrible dragon qui menace de sortir du cadre pour défier les intrépides qui oseraient s'y frotter. « Donjons & Dragons ». Ça sonne comme un de ces romans qu'Elliot lit quand on se cache à la section médiévale fantastique de la bibliothèque.

— Hum... C'est un jeu auquel je jouais avec mes cousins quand on était gamin..., se justifie-t-elle

Je fais comme si je ne remarquais pas son embarras et fais mine de m'y intéresser.

— Ça a l'air marrant. Tu penses que je pourrais être une magicienne ?

— Oh, tu peux être tellement d'autres choses, s'emballe la jeune fille qui m'arrache la boite des mains. Tu peux être une druidesse ou même une guerrière !

Lorsqu'elle retourne le coffret pour m'en montrer les explications au dos, je vois dans ses yeux qu'elle ne rêve que d'une chose, plonger dans ce monde imaginaire qui la ramène en enfance. Elle refuse de l'avouer, alors je lui donne un coup de pouce.

— On devrait essayer ! proposé-je.

Ses yeux s'écarquillent.

— Vraiment ?!

Je hoche la tête, certaine d'avoir fait une heureuse. Elle m'offre un sourire timide lâche ses livres au profit de la boite qu'elle embarque jusqu'à la caisse. Ses mains cherchent fébrilement les billets dans son portefeuille. Je peux voir qu'elle est encore un peu gênée. Elle hésiterait presque à demander un emballage cadeau et dire « c'est pour mon petit cousin ». Le vendeur attrape l'argent en bâillant, il n'en a rien à faire de savoir qu'elle joue les héroïnes fantastiques, il veut sa pause café c'est tout.

— Tu ne prends rien toi ? Me demande Rachel.

Sa question est légitime, après tout, c'était mon idée la librairie. Je secoue la tête. Mon livre à moi, c'est Elli, et je ne sais toujours pas quelle fin il aura.

Goodbye MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant