Goodbye Mary

Chapitre 42

Je pourrais passer par la fenêtre, Elliot le fait tout le temps, alors pourquoi pas moi ? Ça fait trois quarts d'heure que je suis affalée sur le canapé à me gaver de clips qui passent en boucle sur MTV, en imaginant de quelle façon je pourrais m'éclipser de cette soirée. Quand nos voisins sonnent à la porte, mon père se lève du fauteuil et tapote ma jambe avec son journal en passant.

— Tina, enlève tes pieds de la table basse et tiens-toi correctement s'il te plaît.

On est en représentation ce soir donc ?

Mes parents et ceux de Nath se saluent affectueusement mais je décèle une légère rivalité lorsque ma mère croise le regard de madame Miller. Je m'approche et force un sourire radieux. Mon jeune voisin ne s'embarrasse pas de politesse. Il est mécontent et le fait savoir en tirant la tronche. Lorsqu'il serre la main de mon père, c'est en gardant l'autre dans la poche de son pantalon qui à tout instant pourrait tomber sur ses genoux. Je vois sa mère le dévisager et plisser les yeux pour lui intimer de faire un effort.

T'en fais pas, t'es pas le seul à jouer la comédie ce soir.

Très vite, mon père dirige monsieur Miller vers sa collection de disques et vante les mérites de sa nouvelle platine. Partager notre amour de la musique, on a ça en commun, papa. Sans attendre, il sort son préféré et tandis que les femmes sirotent un chardonnay, Nat King Cole se met à chanter l'amour dans cette atmosphère feutrée et parfaitement calibrée.

Le rêve américain dans ce qu'il a de plus trompeur.

Nath n'est toujours pas emballé, et quand j'essaie de l'approcher pour lui demander ce qu'il advient du concours pour lui, madame Miller m'arrête pour me complimenter sur ma tenue et ma coiffure. J'essaie de m'en débarrasser rapidement mais ma mère intervient et surenchérit en se flattant du bon goût de sa fille. Ça dure ainsi jusqu'à ce qu'on se mette à table. Là, c'est le festival qui démarre. Toutes nos réussites sont étalées pour gonfler l'ego de nos parents qui ont abandonné leurs rêves et les projettent désormais sur nous. Malheureusement pour Nath, il n'y a que peu de choses à vanter et monsieur et madame Miller dirigent rapidement la conversation sur sa grande sœur partie étudier à Boston.

Maintenant que le sujet est lancé, monsieur Miller pose ses couverts et me questionne sur mes projets. Quelques gouttes de sueur menacent de ruiner mon brushing. Je n'ai pas encore avoué n'avoir rien envoyé. J'attends toujours le bon moment pour dire que je souhaite prendre une année pour travailler et réfléchir à ce que je veux, ce que je veux vraiment. J'élude la question en énumérant les universités qui font briller les yeux de mes parents et ça suffit à contenter tout le monde. Nath me jette un regard en coin. Il sait que ce sont des conneries mais ne dit rien, il se contente de me lancer un sourire que je lui rends avec complicité.

Mon père se lève pour servir le vin. En passant à côté de Nath, il lui demande s'il a déjà des projets après le lycée. Le garçon hausse les épaules et fait rouler ses petits pois avant de répondre :

— J'sais pas. De la musique sûrement.

Tout le monde se met à rire sauf nous. Son rêve, personne n'y croit, alors quand il en parle, lui non plus. Du moins jusqu'à ce soir, car pour une fois, il peut prouver qu'il est capable de plus que jouer pour les ivrognes du Raging Motor ou les cartons du garage de Justin. Il pose ses couverts et lance :

— D'ailleurs, je ne reste pas pour le dessert. J'ai un concert ce soir avec mon groupe.

— Nath enfin, je t'ai déjà dit ce que j'en pense, sermonne sa mère.

Il hausse les épaules. Ce qu'elle lui dit ne l'intéresse pas.

— Ouais, et ça me fait de belles jambes.