Dominos

𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟑

— Amina... Amina était la femme de mon grand frère, Cheikh, déclara Habib, la voix plus basse, comme s'il partageait un secret trop lourd.

— PARDON ?! s'étrangla Lalla, figée.

C'était comme si une décharge électrique avait traversé son corps. Tout s'effondrait et s'assemblait en même temps dans sa tête. Elle fixa Habib, incapable de masquer sa stupeur. Lui, de son côté, semblait perplexe devant son état. Se ressaisissant tant bien que mal, elle se racla la gorge et articula, même si sa voix tremblait légèrement :

— Ton... ton frère était marié ? Avant Diarra ? Avec cette... cette femme qui a été... tu sais, soit-disant abusée par ton père ?

Habib fronça les sourcils. Son expression passa de la surprise à une forme d'incompréhension, comme si ses souvenirs hésitaient à revenir à la surface.

— Je... je ne saisis pas tout de leur histoire. J'étais qu'un gamin à l'époque, Lalla. Mais oui, ils étaient mariés. Elle est arrivée ici bien avant ma naissance, tu sais. Tout le monde l'adorait. Elle était gentille, toujours souriante, et... follement amoureuse de Cheikh.

Sa voix s'adoucit, presque nostalgique, comme s'il évoquait une légende familiale qui avait mal tourné.

— Avant, les adultes nous racontaient des histoires farfelues pour nous endormir. Mais pour moi, la plus belle, la plus vraie, c'était celle de Cheikh et Amina. Ils semblaient invincibles. Ils étaient heureux. Ensemble. Et puis, un jour, tout a basculé.

Lalla était pendue à ses lèvres, absorbée par ses mots.

— Basculé comment ? murmura-t-elle, même si elle redoutait la réponse.

Habib secoua la tête, l'air à la fois frustré et dépassé.

— Je ne sais pas. Ça s'est effondré sans qu'on comprenne. Tout est parti en vrille. Ils sont restés mariés quatre ans, mais à la fin... elle n'était plus la même. Elle est devenue... instable. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi.

Il s'interrompit, hésitant.

— Elle a commis un crime, Lalla. Un truc grave. Je ne sais pas si je dois te le dire, mais ça a ruiné sa vie, et celle de Cheikh par la même occasion. Elle a été enfermée dans un hôpital psychiatrique. Quelques mois après... elle est morte. Un incendie.

Le silence qui suivit était presque tangible. Lalla s'affaissa sur le fauteuil, ses pensées s'enchevêtrant à une vitesse fulgurante. Chaque morceau du puzzle qu'elle assemblait dans sa tête lui semblait plus terrifiant que le précédent. Les dates concordaient. Les histoires, les rumeurs, les non-dits... tout collait.

Elle se mordit la lèvre, fixant un point invisible devant elle. Il y avait quelque chose de trop ordonné dans ce chaos, comme si tout avait été soigneusement dissimulé derrière une façade d'oubli.

Habib se leva, brisant l'envoûtement.

— Bon, je vais te laisser. J'ai une réunion demain, je dois me lever tôt.

— Oui... oui, répondit Lalla, presque absente.

Elle se leva à son tour, ramassant machinalement le plateau sur la table.

— Je vais descendre ça à la cuisine. Merci pour... pour cette conversation.

Elle lui tapota l'épaule, un geste mécanique. Habib lui sourit vaguement avant de disparaître à l'intérieur.

Dans la cuisine, Lalla s'assura qu'elle était seule avant de poser le plateau sur le comptoir. Son cœur battait si fort qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser dans sa poitrine. Les mots d'Habib tournaient en boucle dans son esprit.