Iris
Le trajet en voiture était un supplice silencieux. J'étais assise à l'arrière, les yeux fixés sur la nuque rigide de mon père, tandis qu'Arès le suivait dans la voiture des gardes, une sombre silhouette dans la pénombre derrière nous. Chaque cahot de la route ravivait la douleur cuisante sur ma joue, là où le poing de mon père m'avait frappée. Je sentais le sang sécher, formant une croûte désagréable, mais je n'osais pas y toucher. Pleurer était hors de question. Je serrais les mâchoires, mes ongles s'enfonçant dans la paume de mes mains, tentant de transformer cette rage impuissante en une sorte d'énergie brute.
Comment Arès avait-il osé ? Le frapper. Mon père. Personne n'avait jamais fait ça. Il avait franchi une ligne que personne n'aurait imaginée franchissable. Une part de moi, la petite fille terrifiée, était horrifiée. Il allait le payer. Cher. Mais une autre part, celle qui avait vu ses poings se lever pour me défendre, ressentait... quoi ? Une bouffée d'air frais au milieu de l'asphyxie. Un éclair, aussi rapide qu'un battement de cœur, d'une gratitude inattendue. C'était stupide. Il n'était qu'un garde du corps, et maintenant, il était en danger à cause de moi.
La voiture s'arrêta enfin devant la villa. La maison, immense et froide, semblait encore plus menaçante sous la lumière crue des lampadaires. Je sortis sans attendre, sans un regard pour mon père ou pour la voiture d'Arès. Mon corps entier me hurlait de courir, de m'enfermer dans ma chambre et de ne plus jamais en sortir. Mais la voix de mon père résonnait encore dans ma tête : "Tu feras comme avant : apprendre, réciter tes cours... Et dorénavant, c'est toi qui t'occuperas des tâches ménagères !" C'était une punition cruelle, conçue pour m'humilier et me briser encore plus. Moi, faire les tâches ménagères ? Alors que des dizaines d'employés s'en occupaient ? C'était une blague de mauvais goût, une torture psychologique supplémentaire.
Je traversai le hall en titubant légèrement, la tête baissée, évitant le regard des gardes qui se tenaient là, impassibles comme des statues. Ils avaient vu ce qui s'était passé à la grange. Ils savaient. Et aucun d'eux n'avait bougé, sauf Arès. Cette pensée me piquait plus que mes blessures.
Ma chambre. Le seul endroit où je me sentais un tant soit peu en sécurité, même si c'était une illusion. Je m'y précipitai, claquant la porte derrière moi. Mes mains tremblaient en la verrouillant. Je me laissai glisser le long du bois froid, ma tête posée contre le panneau, respirant difficilement. Le silence de la pièce était assourdissant après le chaos de la grange.
Je me relevai, le corps lourd, et me dirigeai vers la salle de bain. La glace me renvoya un reflet déformé de ma souffrance. Ma joue enflée et violacée, ma lèvre fendue. Les cicatrices de la moto étaient encore là, un mélange de bleus et d'éraflures. Je ressemblais à un désastre. Mais cette fois, la douleur était différente. Elle était mêlée à de la colère. Contre lui, contre moi, contre ce monde absurde.
Je pris une douche rapide, l'eau chaude aidant à détendre mes muscles tendus, mais ne lavant pas la rage. Une fois sortie, je regardai les vêtements que j'avais mis de côté avant de partir à l'hôtel : une robe simple, un peu trop habillée pour rester dans ma chambre, mais j'en avais marre de ces joggings. Je m'habillai lentement, chaque mouvement me rappelant ma condition.
Je me sentais à la fois épuisée et hyper-vigilante. Je savais ce qui m'attendait. Les livres d'étude, les leçons à réciter, et maintenant, les tâches ménagères. C'était sa manière de me rappeler ma place, de me briser le moral. Mais cette fois... il y avait un changement. L'image d'Arès, se jetant sur mon père, cette fureur dans ses yeux, cette protection inattendue... cela m'avait laissé une graine d'espoir. Ou de danger. Je ne savais pas encore.
J'allai m'asseoir à mon bureau, ouvrant le manuel de philosophie que j'étais censée étudier. Les mots se mélangeaient sur la page. Mon esprit était ailleurs, à se demander ce qui se passait dans le bureau de mon père. Arès devait y être maintenant. Que lui faisait-il ? Le battait-il ? Le renverrait-il ? L'idée qu'Arès puisse disparaître, être puni à cause de moi, me serra le cœur. Il était le seul à m'avoir défendue, le seul à avoir vu ma misère sans détourner le regard. Il était le seul lien avec l'extérieur, le seul à m'avoir fait rire ou même simplement me sentir... vue.
Je me suis surprise à penser à lui, à son odeur sur la moto, à la douceur inattendue de ses mains soignant mes blessures, à son sourire moqueur. Il était tellement différent des autres. Il était imprévisible, agaçant, mais aussi... un protecteur. Et maintenant, il était en danger. Un danger réel, pas une simple menace verbale.
Le temps passa, lentement. Chaque minute était une torture. J'imaginais les coups, les menaces, la fureur de mon père. J'avais envie de courir, d'ouvrir la porte, d'aller voir, mais je savais que ce serait me précipiter dans l'abîme. Je ne pouvais rien faire. Juste attendre. Attendre dans ma cage dorée, le ventre noué par l'angoisse.
Finalement, mes yeux se sont posés sur l'horloge murale. Deux heures s'étaient écoulées. Deux heures depuis que mon père et Arès étaient partis vers le bureau. C'était une éternité. Était-ce fini ? Était-il parti ?
Je me suis levée, ma décision prise. Je ne pouvais pas rester là sans savoir. Quoi qu'il arrive, je devais savoir. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. Je devais être discrète.
Je me suis approchée de la porte, l'oreille collée au bois. Rien. Un silence pesant. J'ai déverrouillé la porte avec une lenteur extrême, faisant attention au moindre grincement. J'ai ouvert juste un interstice, jetant un coup d'œil dans le couloir. Vide. Les lumières étaient tamisées, comme toujours la nuit.
Je me suis glissée dehors, me déplaçant comme une ombre. Chaque pas était une torture, mes muscles me rappelant l'accident et la fuite. Mais l'adrénaline me poussait. Le bureau de mon père était au bout du couloir. Au fur et à mesure que je m'approchais, une légère lueur filtrait sous la porte. C'était bon signe, cela voulait dire que quelqu'un était là. Mais qui ?
Je me suis arrêtée devant la porte, mon cœur tambourinant dans mes oreilles. J'ai collé mon oreille au bois, retenant mon souffle. Des voix. Deux voix. Mon père et Arès. Ils parlaient. Doucement. Pas de cris, pas de coups. Juste des murmures, comme s'ils ne voulaient pas être entendus. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien se dire qui nécessitait tant de discrétion ?
Le soulagement m'a submergée, aussi intense que la peur quelques instants auparavant. Arès était en vie. Il n'avait pas été massacré. Mais cette conversation secrète, ces murmures... cela soulevait de nouvelles questions, une nouvelle anxiété. Qu'est-ce que mon père pouvait bien vouloir d'Arès, après ce qui s'était passé ? Et pourquoi cette discrétion ? Le danger n'était peut-être pas passé, il avait juste changé de forme.
Je suis restée là, figée, écoutant sans comprendre, le son des deux voix tissant une toile de mystère autour de moi. Je sentais que cette nuit, quelque chose de fondamental venait de changer. Pas seulement pour moi, mais aussi pour Arès. Et pour la suite de ma vie. Je savais que je n'aurais plus jamais le droit de sortir seule. Mais peut-être, juste peut-être, y aurait-il une infime chance de trouver une autre forme de liberté.

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Le Plaisir Divin
RomansaUn coup. Respire et expire. C'est bien tôt fini, Iris respire. Deuxièmes coups. Expire et ne pleure pas. Troisième coups. Trou noir, plus rien. ____________________