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Palais de Kew, 17 décembre 1761.

Cela faisait plusieurs jours que le roi subissait les consultations du docteur Monro.
Ses cris de douleurs se faisaient entendre à longueur de journée et ne cessaient d'augmenter.  À vrai dire, leur nombre avait doublé depuis qu'une baignoire avait été emmenée dans le cabinet - ou plutôt, la geôle -, dans laquelle le roi était traité.
Reynolds peinait à supporter cette situation. Il avait bien tenté de se renseigner au sujet de cette baignoire lorsque des domestiques la portèrent à l'intérieur du château, deux jours auparavant. Mais il n'avait obtenu aucune réponse, les assistants du docteur lui rappelant à nouveau que cela n'était pas son métier.
Il souhaitait aider le roi, mais il ne savait pas comment...
- M'écoutes-tu ? dit Brimsley.
Les deux valets s'étaient retrouvés à l'aube à mi chemin entre le palais de Kew et celui de Buckingham, seuls.
- Pardon, je rêvassais.
- Est-ce vraiment le moment de rêvasser ? Te soucies-tu même de la situation ? lui demanda Brimsley avec agacement.
- Bien sûr que je m'en soucie, répondit sèchement Reynolds, vexé.
- Je l'entends pleurer, tous les soirs. Elle ne fait que errer dans les couloirs du palais comme un fantôme et regarder par la fenêtre. C'est à peine si elle se nourrit pour survivre.
Reynolds ne répondit rien.
- Son mari et sa famille lui manque, insista Brimsley.
- Que veux-tu que j'y fasse ? dit sèchement Reynolds.
Brimsley étouffa un rire agacé et dit :
- Convaincs le de revenir à Buckingham.
- Je ne peux pas...
- Comment ça tu ne peux pas ?!
- On ne peut absolument rien faire ! hurla Reynolds.
- Pourquoi ?! répondit Brimsley qui haussa le ton à son tour.
- Parce que c'est comme ça !
Brimsley lui lança un regard rempli de dégoût.
- Débrouille toi pour le faire revenir. La princesse Augusta veut nous convoquer sous peu, dit-il avant de partir.
Reynolds partit à son tour en direction du palais de Kew, énervé. Contrairement à ce que celui-ci semblait penser, Brimsley n'était pas le seul à être inquiet pour l'avenir du couple de monarques.
Et il était autant attristé que lui de savoir que la reine souffrait de l'absence du roi. Mais il avait dit la vérité, il ne pouvait malheureusement rien faire.
Il atteignit le palais à l'heure du réveil du roi. Enfin, si celui-ci n'avait pas passé la nuit en consultation...
Il toqua à la porte de la chambre de celui-ci.
- Votre Majesté ?
- Entrez Reynolds, répondit George.
Reynolds rentra dans la chambre et trouva le roi dos à lui, torse nu, qui semblait changer de vêtements. Il semblait frigorifié.
- J'allais prendre mon repas, poursuivit George.
- Votre Majesté... Est-ce que... vous allez bien ? osa demander Reynolds.
- Pourquoi n'irai-je pas bien ?
Reynolds ne répondit rien et se positionna à l'écart de la petite table où le roi allait s'installer.
- Vous déjeunez ici désormais ?
- Oui, le docteur veut que je ne vive plus comme un roi pour que le traitement fonctionne.
Du gruau était servi dans une assiette à peine propre. Reynolds n'était pas sûre que l'on aurait donné ce plat aux animaux de la ferme la plus proche, où le roi se rendait souvent.
George s'installa sur la chaise et pris la fourchette dans sa main qui tremblait.
- Vous frissonnez, insista Reynolds.
Il marqua une pause avant de poursuivre :
- Avez-vous même dormi ?
À en juger les cernes qui marquaient le visage du roi, cela semblait évident que ce n'était pas le cas.
- Si vous voulez me dire quelque chose, faites le, dit sèchement George qui s'impatientait.
- Eh bien. Les séances dans le bain se font de plus en plus nombreuses. Vos cris aussi... Votre main est rouge à force de coups et votre corps possède plein d'ecchymoses... Quant à la nourriture, je n'oserai pas la servir à un quelconque homme.
George pris une bouchée de la nourriture qui lui était servie, grimaça puis soupira.
- J'émets également des doutes sur les méthodes du docteur. Mais je n'ai pas le choix, je dois essayer... Je veux être avec elle...
Reynolds décida de ne pas lui faire part de la conversation qu'il avait eut avec Brimsley. Le roi voulait voir sa femme, et savait qu'il manquait à celle-ci, c'est pourquoi il s'infligeait cet horrible traitement.
Or, Reynolds n'avait pas envie de l'encourager davantage dans cette démarche...
- Je ne suis pas sûr de pouvoir guérir un jour et de pouvoir être à ses côtés... Je me maudis de lui avoir infligé ça. Ce mariage.
Il soupira.
- Je le pensais vraiment, quand je lui ai dit que je voulais réellement l'épouser. J'avais perçu une lueur d'espoir, pensé que nous pourrions vivre ensemble. Comment ai-je pu penser un instant que je serai aussi parfait qu'elle ? La réalité m'a ensuite vite rattrapé...
Reynolds s'apprêtait à répondre, mais le docteur Monro fit son entrée dans la pièce, sans même toquer à la porte.
- Allons, mon garçon, vous n'avez toujours pas fini votre repas ? dit-il avant de se positionner derrière un fauteuil muni d'un rasoir et d'un récipient rempli d'eau.
George s'empressa tant bien que mal de finir son assiette et alla se poser dans le fauteuil.
Le docteur commença à raser la barbe du roi.
Reynolds resta statique, et les observait.
- Vous êtes congédié, lui dit Monro.
Reynolds ne bougea pas.
Quoi que pense le docteur, il n'était, pour Reynolds, pas le roi, et il n'avait donc aucun ordre à recevoir de celui-ci.
- M'avez-vous entendu ? Sortez !
Reynolds regarda le roi, qui lui fit un signe de tête en guise d'approbation.
Reynolds lui adressa une révérence puis quitta la pièce.

- Votre majordome est borné, dit Monro.
- Non, il attend les ordres de son roi, voilà tout, répondit George.
Celui-ci appréciait la fidélité dont faisait preuve Reynolds à son égard. Tous les deux s'étaient connus très jeunes, lorsque George n'était pas encore destiné à devenir roi.  Ils avaient jadis joué souvent ensemble et avaient fait bien plus d'un tour aux domestiques du palais.
Mais tout était différent désormais.
Désormais, la joie et l'insouciance avaient cédé place à la terreur.

My heart calls your name Où les histoires vivent. Découvrez maintenant