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Palais Saint-James, 28 septembre 1761, bal royal.

Lorsque les Evans arrivèrent au bal royal organisé par Sa Majesté - ou plutôt, par sa mère -, plusieurs jeunes filles se précipitèrent pour accoster les frères de Victoria. Celle-ci profita de l'occasion et s'éclipsa afin d'échapper à sa mère. Elle ne manquait pas de bonne volonté, et ferait de son mieux pour trouver un mari, à condition qu'il soit convenable bien sûr. Mais il fallait avouer qu'Amelia était aussi douée que les autres mères de famille dans l'art d'être effrayante lorsqu'elle voulait marier ses enfants.
- Enfin, je vous trouve !
Victoria tourna la tête, c'était encore une fois le jeune homme qui était venu lui parler la dernière fois.
- Vous me cherchiez ? plaisanta-t-elle.
- Bien sûr. Je ne voudrais pas manquer de vous voir près du buffet, comme à votre habitude.
Bien qu'il ait l'air de plaisanter, cela sonnait tout de même comme un reproche.
- Puisque j'y suis si souvent, vous n'auriez pas dû avoir du mal à me trouver, dit-elle, agacée.
Il lui adressa un grand sourire.
- Et dites moi, pourquoi donc passez-vous tout votre temps vers le buffet ? Je veux dire, plutôt que d'accompagner ces messieurs sur la piste de danse.
- Oh mais c'est le cas.
- Oui, le peu de fois où vous n'êtes pas vers le buffet, plaisanta le jeune homme.
Victoria fit mine d'ignorer sa plaisanterie et pris un autre entremet.
- Comptez-vous dévorer tout mon buffet ? enchaîna-t-il avec un sourire taquin.
- Il est mis à disposition pour que l'on se serve, c'est son utilité première. Il est donc dès lors à tout le monde, monsieur, répondit Victoria avec plaisanterie à son tour.
- Vous ne m'avez pas répondu. Pourquoi passez-vous votre temps ici ? Les festivités ne vous plaisent pas ?
- Si, bien sûr ! Mais... pour être honnête, j'ai parfois besoin, au même titre que vous messieurs, de m'éloigner des mères...
Le jeune homme hocha la tête en guise d'approbation.
- Je comprends. J'apprécie votre honnêteté.
Victoria lui sourit légèrement.
- Je dois m'absenter un moment. Passez une bonne soirée, Victoria.
Il lui adressa une révérence en souriant et partit sans plus d'explications.
Comment connaissait-il son prénom ?
- Victoria ! Vous êtes la ! s'écria Amélia qui la rejoint.
- Nous devons aller saluer Sa Majesté, précisa William.
- Oh, il est présent ? demanda Victoria.
- Évidemment. C'est un bal dans sa demeure, se moqua Charlie.
- Oui, bien sûr...
Le roi était présent, pour une fois ! Vu les rares occasions où cela se présentait visiblement, elle ne devait surtout pas manquer l'occasion de le saluer. Et elle allait enfin pouvoir raconter à Millie à quoi il ressemblait, elle qui le lui demandait tant depuis ces dernières semaines.
Il faut dire que le roi avait peu été vu de quiconque dans la haute société, il semblait ne pas apprécier les événements mondains.
Victoria fut entraînée en direction du roi et de la princesse douairière Augusta, un bras tenu par sa mère et un autre par son frère aîné.
Le roi et sa mère présidaient les festivités du palais, assis côte à côte sur leurs trônes.
- Et voilà mon diamant ! dit la princesse Augusta à l'intention de son fils.
Toute la famille Evans lui adressèrent une révérence.
- Miss Evans, laissez-moi vous présenter mon fils, le roi George III, poursuivit-elle en désignant le roi de la main, qui était assis sur son trône.
Les frères et la mère de Victoria adressèrent désormais une révérence au roi, tandis que celle-ci devint livide.
C'était le jeune homme à qui elle avait parlé plusieurs fois ! Et qui avait par ailleurs mis un point d'honneur à la taquiner avec un malin plaisir à chacune de leur rencontre...
- Victoria ? l'interpella Amélia, embarrassée.
Cela fit sortir Victoria de ses pensées. Elle jeta un bref coup d'œil à sa mère et à son frère aîné, qui la regardaient avec des yeux insistants, et franchement paniqués.
Cette situation eut l'air de beaucoup amuser le jeune roi, qui décrocha un sourire satisfait.
- Oui, pardonnez-moi, reprit Victoria. C'est un plaisir, Votre Majesté... dit-elle en lui adressant finalement une révérence à son tour.
Avant qu'elle n'ait eu le temps de se redresser, la main du roi était désormais tendue vers elle, tandis qu'il lui demanda toujours avec le même sourire amusé :
- Me feriez-vous l'honneur, miss Evans ?
- Oh... Bien sûr, Votre Majesté.
Victoria prit sa main et se laissa guider jusqu'à la piste de danse.
Lorsqu'ils commencèrent à danser, George éclata de rire.
- Sauf votre respect, je ne vois pas ce qu'il y a d'aussi amusant, lança Victoria, agacée et à nouveau embarrassée.
- J'avoue avoir fait fort, ce soir.
Victoria fit mine de ne pas l'écouter et projeta son regard ailleurs dans la pièce.
- Oh, allez ! Vous aimez ça autant que moi !
- Pas du tout, vous m'avez humilié.
- Je suis sûr que si.
- Et moi je vous dis que non, répondit Victoria en soutenant son regard.
Cela l'amusait en effet un petit peu, mais il était hors de question de l'admettre, il serait bien trop fier.
- Si.
- Non.
- Si.
Victoria soupira bruyamment, en signe d'agacement.
- Vous êtes si... exaspérant ! dit-elle sur le coup de l'impulsivité.
- Oh, vraiment ? demanda George, choqué.
- Je... Veuillez m'excuser, Votre Majesté, je ne voulais pas...
Il se remit à rire. Victoria le regarda, exaspérée.
- Tout cela vous amuse-t-il vraiment ?
- Parfaitement.
Victoria lâcha une inspiration de surprise.
- Alors vous me trouvez vraiment agaçant ?
- Si je dois être honnête, oui.
- Vous ai-je déjà dit que j'appréciais votre honnêteté ?
- Oui, plusieurs fois déjà, dit-elle en lui lançant un air de défi.
- Vous êtes aussi bornée que moi, rit George.
- Je ne pense pas que cela soit possible, répondit Victoria avec un large sourire.
La danse se finit et ils s'adressèrent mutuellement une révérence. George déposa un baiser sur le dos de la main de Victoria et lui dit avant de partir :
- Bonne soirée, miss Evans.

Le soir même, avant d'aller dormir, George demanda à ce qu'on lui prépare un bain chaud.
- Avez-vous passé une bonne soirée, Votre Majesté ? demanda Reynolds, son valet.
- Parfaite, répondit George en s'allongeant dans son bain.
- Aucun... signe en vue ?
- Ne gâchez pas tout.
- Pardonnez-moi.
George resta silencieux quelques secondes puis reprit :
- Non, aucun. Fort heureusement... Et j'ai discuté à nouveau avec la demoiselle, ajouta-t-il en souriant.
- Celle qui vous avait bousculé ?
- Oui. Elle ne savait pas que j'étais roi. Quand elle et sa famille sont venus se présenter et qu'elle m'a vu... Oh ! Si vous aviez vu comment son visage s'est décomposé ! rit-il.
- Vraiment ? demanda Reynolds, confus.
- Je ne peux pas lui en vouloir. Je suis certain que la majorité, si ce n'est tous les invités de cette soirée, ne savaient pas à quoi ressemblait leur roi. Je ne me montre que très peu en festivités.
Reynolds hocha la tête en guise d'approbation.
- Voyant son malaise, j'en ai profité pour l'entraîner sur la piste de danse, reprit George, avec une lueur satisfaite dans les yeux.
- Oh, Votre Majesté...
- Il faut bien que je m'amuse, pesta George en posant ses mains derrière sa tête pour s'appuyer.
Elle a du répondant. Ça me plaît.
Il soupira de satisfaction. Elle lui plaisait, en effet. Il n'avait jamais rencontré auparavant quelqu'un qui lui tienne tête, plaisante avec lui et agisse comme s'il n'était pas réellement roi. Bien que leur conversion ait été courte cette fois encore, c'est le sentiment qu'il avait ressenti en sa compagnie. La liberté.

My heart calls your name Où les histoires vivent. Découvrez maintenant