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Mayfair, 15 septembre 1761, demeure des Evans.

Comme chaque matin, Victoria se leva, demanda de l'aide à sa femme de chambre pour se préparer, puis descendit déjeuner avec l'ensemble de sa famille.
Il n'était pas d'usage de voir une grande famille déjeuner tous ensemble, encore moins avec des enfants, mais cela avait toujours été une habitude chez les Evans.
Et comme à chaque repas, les benjamins de la famille, James et Millie, se faisaient un plaisir de semer le chaos autour de la table.
- Bon sang ! Calmez-vous ! s'exclama leur mère.
Victoria étouffa un rire derrière sa serviette.
Sa mère, qui s'en aperçut, lui jeta un regard sombre et la questionna :
- Savez-vous quelle robe porterez-vous ce soir au bal de Lord et Lady Thorndike, Victoria ?
- Eh bien, je pensais mettre celle couleur pourpre qu-
- Pourpre ?! l'interrompit sa mère. Hors de question ! N'avez-vous pas entendu à quel point cette couleur est méprisée depuis que Miss Williams nous a fait l'honneur de sa... tenue... la saison dernière. Nous irons vous faire essayer d'autres robes et jupons dès cet après-midi.
- Mais...
Victoria se fit à nouveau interrompre par sa mère :
- Ce n'est pas négociable. Il faut que vous gardiez la bonne impression que vous avez faite dans la société.
- Encore faudrait-il que des hommes convenables lui fassent ensuite honneur de leur présence, entreprit William.
William mettait un point d'honneur à veiller à ce que ses sœurs soient en bonne compagnie, et non pas avec des messieurs pouvant s'apparenter à des libertins.
Mais, comme toute mère de la bonne société du 18ème siècle, Amelia se ruait lors de chaque événement sur n'importe quelle personne de sexe masculin, et donc sur n'importe quel prétendant, qui pourrait être envisageable pour ses filles. Et il y en avait beaucoup.
Victoria ne répondit rien. Elle avait conscience des attentes de la société envers elle, mais elle n'avait remarqué aucun jeune homme - bien qu'il n'y ait pas seulement des hommes jeunes qui la courtisait - au premier bal de la saison. Elle voulait alors prendre son temps afin de faire plus ample connaissance avec chacun d'entre eux, et espérait également avoir le droit à un mariage d'amour, tout comme ses parents.
Après le déjeuner, Victoria fut donc amenée chez la modiste la mieux réputée de la ville, en compagnie de sa mère.
Elle fit plusieurs essayages, puis finit par choisir une robe bleue pâle, la couleur tendance du moment chez la noblesse londonienne.
Le soir même, tous les membres de la famille en âge d'assister au bal de Lord et Lady Thorndike s'y rendirent.
Victoria, ayant réussi à échapper à sa mère, qui était désormais occupée à présenter son aîné, William, à toutes les jeunes filles à marier présentes, se tenait vers le buffet.
Lorsqu'elle entreprit de goûter un entremet, une jeune fille âgée de quelques années de plus qu'elle, la rejoint.
- Victoria... dit-elle avec un air hautain.
- Miss... ? interrogea Victoria, prise au dépourvu.
- Brown. Miss Daisy Brown, répondit sa camarade avec un sourire peu sincère. Comment se passe votre début de saison ?
- Très bien, dit Victoria. Je débute après tout, je n'ai pas encore assez d'expérience au sein des événements mondains.
- Cela se voit.
Victoria ne savait pas comment prendre cette remarque. Il semblait pourtant qu'elle avait fait sensation auprès de toute l'assemblée. Néanmoins, sa mère l'avait mis en garde sur l'attitude de certaines demoiselles dans la société, facilement jalouses et sans cesse en quête de nouveaux potins. Elle comprit donc assez aisément que Miss Brown en faisait partie.
- Malgré que vous fassiez vos débuts, reprit celle-ci, vous devriez veiller à ne pas tarder à vous fiancer, si vous voulez un conseil. Il se pourrait bien que vous n'ayez pas d'autres propositions si vous traînez trop...
- Mais vous en êtes à votre 3ème saison, si je ne m'abuse, répliqua Victoria, et plein d'autres demoiselles le sont aussi...
Daisy étouffa un rire moqueur et enchaîna :
- Si vous parlez de miss Cooper, cela me paraît évident que personne ne lui ait encore demandé sa main.
Victoria trouva cela très injuste de parler de la sorte d'une camarade. De toute évidence, sa mère avait raison, il n'y avait pas que de bonnes compagnies dans la société.
- Je préfère ne pas me précipiter, et faire plus ample connaissance avec les messieurs. Voilà tout.
- Bien sûr, lui répondit Daisy avec un nouveau sourire moqueur, avant de partir rejoindre sa mère.
Victoria dévisagea Daisy tandis que celle-ci s'éloignait. À l'évidence, elles ne seraient pas amies. Mais elle n'était pas la pour se faire des amies, après tout.
Puis elle jeta un bref coup d'œil à travers la salle. Aucun signe de quiconque qui pourrait s'apparenter à un roi. Étrange... n'assisterait-il pas non plus à cette festivité là ? Étant le nouveau souverain, il devrait pourtant accompagner la princesse douairière à chaque événement de la société...
Elle décida de rejoindre sa fratrie, qui parlait de l'autre côté de la salle de bal.
Mais avant même d'avoir pu les rejoindre, elle fut heurtée.
- Miss Evans ! Pardonnez moi.
Un homme de l'âge de son défunt père s'inclina.
- Pas de problème, répondit Victoria qui essaya de s'enfuir au plus vite.
Bien qu'elle fasse ses débuts dans la société, Victoria avait déjà entendu le nom de Lord Treck lors de discussions avec sa famille, lors de la saison précédente, à laquelle avait assisté sa sœur aînée.
Celui-ci était en effet réputé pour sa lourde compagnie, notamment auprès des jeunes filles à marier. Mais il était bien trop peu du goût de celles-ci, et bien trop vieux d'après Victoria.
Cependant, il la retint :
- Vous ai-je dit à quel point je vous trouve charmante ? Et ce soir vous êtes... ma foi vous êtes tout à fait convenable !
- Merci... répondit Victoria, qui ne trouvait pas ce mot très flatteur.
- Cela dit, je vous ai toujours trouvé magnifique. Dès lors que vos parents vous ont présenté lors de promenades étant enfant, vous étiez déjà charmante ! Vos parents étaient encore jeunes à cette époque, tout comme moi d'ailleurs, mais vous avez marqué mon esprit, dit-il en la regardant tout en buvant une gorgée de ce qui était contenu dans son verre.
- Lorsque vous aviez... 35 ans, et moi... 4... dit Victoria en faisant la moue.
Lord Treck rit disgracieusement puis lui répondit :
- Vous êtes fort amusante mademoiselle.
Victoria se contenta de sourire, non pas sans peine, puis partit en faisant une grimace, lorsqu'elle fut assez loin de celui-ci.
Il sembla cependant que le malheureux n'ait pas l'intention de la laisser s'enfuir.
- Attendez ! dit-il en marchant à sa poursuite.
Victoria préféra accélérer le pas et se réfugier en dehors de la salle de bal. Elle franchit donc l'immense porte d'entrée de la salle et se trouva dans un long couloir.
Elle continua à marcher dans celui-ci aussi vite que possible et jeta un rapide coup d'œil derrière elle pour voir si elle était toujours suivie, lorsqu'elle heurta quelqu'un.

My heart calls your name Où les histoires vivent. Découvrez maintenant