Chapitre 3

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La nuit avec les zombies était terrifiante. Il n'y avait aucune lumière, ni Lune pour secourir les pauvres damnés de ce monde. Pas même un grain de lumière sortit d'une bougie improvisée. À peine voyait-on les formes des immenses gratte-ciel. Comme des ombres menaçantes. Avec le cri des zombies, un million de cris, la nuit rappelait plus que le jour combien la vie terrestre n'était plus qu'un film d'horreur en réel. C'était comme entendre, en fermant les yeux, des cris de nombreuses victimes après une attaque sanglante.

À cette vision épouvantable d'une immense cité en ruine et à ces hurlements de morts s'ajoutait la sensation glaciale du vent qui hérissait les poils. C'était une expérience immersive extrêmement gênante pour les vivants qui sortaient de leurs abris où la notion de sécurité n'existait plus.

« Dormir » était un mot étrange qui ne faisait plus que sourire dans ce monde déchu. Et le mot « sommeil » ? Quel était donc ce mot qui avait perdu son sens, puisqu'il n'était plus possible de se reposer. Dormir était une torture. Rêver était redevenu ce que ce mot était à l'origine : imaginer un monde meilleur pour soi-même. Le rêve n'était plus possible d'éprouver réellement en vie. La vie n'était plus qu'un cauchemar, elle l'était dans toute sa noire splendeur à la fin du jour. Le jour avait été tué par la nuit. Les ténèbres faisaient leur office, combattant les dernières des dernières lueurs d'espoir des vivants qui avaient osé leur résister. La nuit horrifique donnait des idées noires, sauf à l'un d'entre eux.

Jonathan avait pris l'habitude de se guider dans le noir. Il avait adapté sa vision au monde de la nuit. Lui seul, dans cette infinie obscurité handicapante, savait qu'il n'avait pas la sensation de fatigue. Il ressentit une désagréable sensation dans sa poitrine qui l'avait forcé de sortir de l'abri d'infortune. Il savait comment s'orienter dans le noir. En s'aidant de ses mains, comme un aveugle, et en se souvenant précisément pendant le jour l'état du toit sur lequel Richard, Miranda et lui s'étaient perdus. Il s'avança quelques mètres, sachant précisément où se trouvait le rebord pour ne pas tomber. Il savait précisément dans le noir où se trouvait le lieu bétonné sur lequel il s'agenouilla et se joignit les mains.

Parmi les mugissements terribles des zombies, s'éleva une voix douce. Une douce mélodie qui émergea de l'agitation bruyante d'un monde en mouvement. C'était une voix qui se détachait délicatement, comme une étoile solitaire dans un ciel nocturne. Une voix presque mystique. Elle était comme un murmure apaisant, presque imperceptible au début, et qui devint progressivement plus distinct à mesure que l'on y prêtait attention. Cette voix douce était comme une brise légère, caressant l'oreille avec tendresse. Elle apportait un calme bienvenu au milieu de l'effervescence environnante. Elle se démarquait par sa singularité, par son timbre unique, doux et enveloppant, évoquant une impression de chaleur et de réconfort. Dans la cacophonie des zombies, cette voix avait le pouvoir d'apporter un moment de tranquillité. De faire oublier l'espace d'un instant, le tumulte de ce monde. Une voix solitaire flottant dans l'obscurité comme suspendue dans le ciel à l'abri des dangers du monde d'en bas.

Merci de ce jour qui finit.

Merci de cette nuit qui vient.

Mon Dieu,

Qu'elle berce le sommeil des hommes endormis

Qu'elle berce ceux que j'aime.

Qu'elle me berce moi-même,

Jusqu'à demain.D

ans ce jour qui finit,

Tout n'a pas été beau ni bien fait, ni parfait.

Réparez, si c'est possible ; effacez, changez,

Et donnez-nous la force de faire mieux demain.

Dans ce jour qui finit,

Des Hommes ont souffert.

Guérissez, si c'est possible.

Diminuez le mal ou le chagrin.

Faites que quelque chose vienne apaiser leur peine.

Faites que quelqu'un s'en aille les aider.

Et que cette nuit leur fasse du bien.

Dans ce jour qui finit,

Nous n'avons pas été ce que nous aurions dû être.

Faites-nous meilleurs, mon Dieu, si c'est possible.

Moins durs envers les autres ;

Plus doux, plus patients.

Faites-nous plus forts aussi, plus décidés,

Plus exigeants pour nous-mêmes,

Plus vrais dans nos paroles,

Plus fidèles à nos promesses,

Plus actifs dans nos travaux,

Plus obéissants et plus soumis,

Plus rieurs aussi ;

Et que demain soit plus beau qu'aujourd'hui ; plus grand.

Merci de ce jour qui finit.

Merci de cette nuit qui vient.

Qu'elle berce le sommeil des hommes endormis.

Qu'elle berce ceux que j'aime.

Qu'elle me berce moi-même,

Jusqu'à demain.

- Toi aussi tu ne dors pas ?

La voix douce disparut. Elle s'évanouit dans l'obscurité comme la dernière lueur de clarté.

- Je n'arrive pas, répondit Jonathan à mi-voix en restant dans la même position agenouillée et les mains encore jointes.

Richard quitta leur abri misérable et rejoignit Jonathan. Il savait lui aussi se guider dans l'obscurité presque totale. Mais à la différence de Jonathan il était extrêmement prudent, mettant toujours un bras en avant le plus loin possible pour prévenir tout danger, comme s'il ne faisait pas confiance au destin.

- C'est normal, dit-il en chauffant ses mains avec la bouche. À part Miranda, quel humain normalement constitué et en bonne santé est capable de dormir avec tout ce boucan de zombie ? On peut les entendre jusqu'à des miles à la ronde. Surtout quand il n'y a plus que trois personnes encore en vie. Enfin... si on peut appeler ça une vie. Tu faisais quoi ?

- Je faisais une prière pour passer la nuit.

- Je peux pas le croire, tu pries encore ?! Tu pries trop souvent !

Jonathan se releva d'un bond avec une rapidité que Richard ne perçut que par la voix agitée de Jonathan.

- Attends, tu me reproches de prier, c'est ça ?!

- Tu sais quoi ? Ouais ! J'en ai marre que tu pries. Si ton Dieu existe cette épidémie n'aurait jamais existé ! C'est pas des prières qu'on a besoin, mais du concret pour se tirer de ce merdier !

- Ne me parle plus si c'est pour dire des conneries pareilles !

Richard entendit Jonathan s'éloigner, car il reconnut le bruit des pas du jeune homme sur le béton glacé.

- Tu ne comprends pas que tu perds ton temps à prier ! On n'est pas dans un monde magique c'est nous qui sommes piégés c'est à nous de nous en sortir ! La religion ne sert plus à rien dans ce monde peuplé de zombie !

Sa voix était brutale, vociférant presque en harmonie avec les zombies, ce qui eut le don d'écœurer Jonathan. Celui-ci repartit rapidement sous leur tente en plastique dont on entendit la matière s'agiter au passage de Jonathan, comme si un vent violent venait de s'élever brusquement ici.

Peu habitué à s'orienter la nuit, Richard rester plus longtemps sur le toit le temps que sa colère s'estompa. Mais elle ne disparut pas tout de suite. Il se leva et donna un coup au hasard dans la nuit, comme pour frapper l'obscurité qui le gênait comme une main devant ses yeux. Il sentit ses chaussures cogner contre un objet qui produisit un bruit métallique et qui roula un instant sur le sol bétonné.


Manhattan ZeroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant