Anna-Lilas

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- Un mois et deux semaines en arrière -

Une personne ordinaire serait terriblement intimidée par la mansion des Brave et sa grandeur inutile, aucun meuble n'ose aller de travers, aucune poussière n'ose se poser où que ce soit, même les couleurs ont peur de pointer le bout de leur nez. Tel un joyau présenté sur velours noir, je détonne dans ma robe dorée, éclairant la pièce rien que par ma présence. Tout est dans des nuances de noir, de blanc, et d'angles droits ! Comme les mâchoires d'Andel... Andel qui n'est toujours pas là.

J'essaie de ne pas montrer mon anxiété et d'éviter de trop regarder vers la porte, mais cet effort m'empêche de me concentrer sur la discussion que j'ai avec Clarity en prenant le thé, enfin, le café. Clarity Brave. La malla d'Andel... La malla de mon futur mari. Comment le sais-je ? Comment est-ce même envisageable alors que les résultats ne sont pas encore sortis ?

Eh bien, il y a des personnes comme Andel et moi, qui sont beaucoup trop importantes, issues de familles beaucoup trop puissantes, pour risquer de se mélanger à la populace. Imaginez un peu, l'enfant d'un des protecteurs suprême et celui du plus puissant commerçant. Lui, la force, moi, la richesse. Ensemble jusqu'à ce que la mort nous sépare, etc, etc. Nous formerons un couple de puissance pure et parfaite, comme Mère et Père eux même. Et nous élèverons des enfants aussi parfaits que nous, aussi beaux que nous. Alors il est hors de question qu'on se soumette aux règles du mariage. Nous nous marierons oui, mais selon nos règles à nous, en déjouant leurs règles à eux.

- « Mais qu'est-ce qu'il fiche ce bonhomme ? Mon café commence à refroidir ! »

Le mien aussi Clarity. Mais je me pose la même question, Bigrest ne prend jamais autant de temps quand on lui demande quelque chose. À moins que...

- « Salam malla. », puis après un temps de pause et en regardant le coussin du canapé sur lequel je m'adossais, mais comment ose-t-il ! « Anna-Lilas. »

Cette voix si douce, paresseuse et grave, comme si parler était un terrible inconvénient de l'existence qu'il devait supporter. Il était là. Celui qui m'est destiné. L'entraînement des protecteurs lui avait sculpté des bras, des cuisses et des jambes. Je ne demande qu'à voir ce qu'il est tracé d'autre en dessous de ces couches de vêtements noirs, de la même couleur que ses cheveux fins et raides dont les mèches sauvages retombent sur son front et s'arrêtent aux frontières de ses jolis cernes. Son visage bien limé montre ses atouts sans détours, son nez d'une finesse indécente, ses yeux mortellement dangereuses. Et cette mâchoire, dieux elle m'entaillerait la langue si je la léchais.

Je m'humecte les lèvres à cette pensée.

- « Salam, Andel. Puis-je savoir d'où tu viens comme ça ? » lâcha Clarity en versant du lait dans son café. Je n'avais même pas fait attention au retour de Bigrest.

- « Je t'ai attendu longtemps. » dis-je sur un ton boudeur empreint de reproches.

- « Me suis entrainé. Pour mon test d'aujourd'hui. Je dois partir. C'est important. »

Bien sûr que le test est important, mais je le suis tout autant quand même ! Je représente son avenir moi aussi !

- « Tu prends le petit déjeuner avec nous ? » demandé-je en empruntant l'expression d'un enfant qui s'apprête à pleurer, les yeux plantés dans les siens qui refusent de me regarder. – « Tu dois prendre des forces... » - Tout de même, il ne peut pas refu–

- « Non. Au revoir. »

Au... revoir?

AU REVOIR ?

Par les muscles qui soulèvent mes lèvres à cet instant, on pourrait croire que je bénis le monde de mon sourire, le tic qui harcèle mon œil droit est le seul signe externe de la colère qui bouillonne en moi par cette atteinte à mon ego.

L'auteur fut parti sans un regard au milieu de ma réplique pour regagner rapidement sa chambre en claquant la porte.

J'en restais sans voix. Mais rien de tout ceci n'aurait eu la moindre valeur à mes yeux si tout était si facile. Et aucun prix ne sera jamais assez élevé si ça me permettait de passer ma langue sur l'épiderme d'un si beau spécimen. J'aurais toute la vie pour le dompter et le mener par la braguette, oups, par la baguette, pardon.

Clarity remuait lentement sa petite cuillère, le regard lointain, presque empreint de mélancolie. C'était une toute autre personne quand son fils était là. J'ai entendu des rumeurs comme quoi le mari de cette femme aux longs cheveux d'ébène n'a pas toujours été le même depuis ses dix-huit ans, qu'elle a déjà contourné plusieurs règles depuis. Ce ne sont que des rumeurs, mais quand je vois l'aura implacable et déterminée qu'elle dégage, je me pose sérieusement des questions. Il a dû se passer quelque chose pour que sa relation avec son fils soit si froide, si distante et si... à sens unique. Je la prendrais en contre-exemple. Je ne dois pas finir comme ça. Mais il reste cependant beaucoup de choses à apprendre d'elle.

- « Mon fils est... Assez particulier et, um, très occupé. Vois ça comme des vacances Anna-Lilas, pour te préparer à la vie que tu vas passer avec lui. » D'une main, Bigrest lui présente un étui à cigarettes noir grand ouvert qui expose des tiges, chacune déjà accroché à un filtre. Clarity en prend une que Bigrest allume de l'autre main. - « Peu importe, pour revenir au sujet dont nous parlions avant l'interruption–» elle aspire une bonne bouffée de tabac et attend quelques secondes avant de reprendre la parole. « Je disais donc, il faut choisir votre bébé selon ses yeux, son groupe sanguin et la proportionnalité de son visage. Choisissez bien très chère, vous ne pourrez plus le rendre après. » Un long filet de fumée blanche s'échappe par le "o" minuscule qu'elle forme avec ses lèvres « Enfin, à ma connaissance... Tu es bien silencieuse tout à coup. Tu as peur pour le test ? Pfffff, si on se fie à la réputation d'Andel il n'y a franchement pas de quoi s'inquiéter ! Ou est-ce sa réaction envers toi ? »

- « Est-ce si évident ? » lâchai-je en portant le bout de mes mains manucurées à ma bouche, puis à ma poitrine - « Mais... pour être tout à fait honnête Clarity, j'avais oublié à quel point il était beau. »

J'ai cru la voir lever les yeux au ciel mais c'était si rapide que je n'en suis pas sûre. Bon, on va dire que je n'ai rien vu du tout.

- « Tu dois voir au-delà de ce que tu appelles "beau" si tu veux vivre une vie décente avec mon fils. Autrement il te fera sortir de tes gonds. Tu devrais revoir tes tactiques. »

- « Oh mais ne t'inquiètes pas, "sœur" Clarity, c'est moi qui vais le rendre fou. » Je lui offre un sublime clin d'œil, puis me lève d'un mouvement souple.

Et je vais m'y mettre tout de suite. 

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