Aiko

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- Un mois, une semaine et six jours en arrière –

Il ne faut pas regarder en bas. Surtout surtout pas.

Si on regarde en bas, on a la tête qui tourne comme une toupie, ensuite on a peur, ensuite on tombe et ensuite on meurt. Et A. dit qu'on ne peut plus manger de bonbons quand on meurt. C'est horrible.

- « Aiko ? C'est une pas bonne idée du tout ! »

- « Sssht tu vas nous faire prendre ! »

C'était pas malin d'avoir emmené Bron avec moi, lui il a trop peur tout le temps. S'il continue comme ça, il va plus pouvoir manger de bonbons.

C'est la sortie des protecteurs aujourd'hui. Et moi, je veux devenir protecteur quand je serai grande ! Mais A. dit que les pollicems sont méchants et qu'en plus, y'a que les garçons qui peuvent, et que moi je peux pas parce que je suis une fille. Qu'est-ce que ça a de si exceptionnel un garçon ? Je me tourne vers Bron, nous marchons en file indienne sur le tout petit bout de chemin qui donne sur le vide d'un côté, le ventre collé aux gros murs de la ville, essayant de ne pas tomber. Il n'arrête pas de regarder en bas, et il tremble comme une grand-mère. Lui, c'est un garçon pourtant. Bon, je ne sais pas.

- « C'est vraiment une très mauvaise idée ! Aiko, je veux rentrer à la maison ! »

- « Oui, oui, on rentrera après avoir vu les protecteurs. »

- « Non ! Je veux rentrer maintenant ! Tu sais bien qu'on n'a pas le droit de quitter Errand ! »

- « Oui mais ça ne compte pas si personne ne sait ! Ouh ! Je vois l'échelle ! »

Je savais bien qu'il y avait une échelle sur les pieds de la ville !

Notre ville elle est différente des autres partout ailleurs. Car la nôtre elle est tout fait de métal et de gros vis, elle a des pieds, une tête et des jambes, et elle est giiiigaaaaantesque. Oh oui, elle est vivante, et elle se déplace tout le temps. On dirait un gros animal silencieux.

Je commence à descendre les premières marches sans regarder si Bron m'a suivie. Il peut dire ce qu'il veut, moi, je vais aller voir les protecteurs. Pied gauche, pied droit, main gauche, main droite, et je descends marche par marche sur les grosses barres de fer. C'est super facile ! C'est parce que Errand n'est pas encore réveillé, tout le monde dort encore, du coup il ne bouge pas lui non plus. Il est très tôt du matin, tout autour, il y a un brouillard très épais. C'est comme un nuage sauf que ce n'est pas dans le ciel. Du coup on ne voit rien du tout. Mais c'est génial, parce que personne ne peut nous voir non plus ! On est indivisibles ! Non non, in-vi-sibles. On est invisibles !

On descend, et on descend, et on descend, et on descend, et ouh ! J'entends des voix !

- « Tu entends ça ? » chuchote Bron au-dessus de ma tête, de là où je suis, je peux voir une petite tache noire sur sa salopette, sur sa fesse gauche, ou droite ? Je ne sais pas, mais c'est pas au milieu.

- « C'est sûrement tata Lorelaï et les autres. Faut qu'on se dépêche sinon ils vont partir sans nous ! »

- « C'est toujours une très mauvaise idée Aiko. »

- « C'est pas grave, je te donne ma part de dessert ce soir si t'arrêtes de pleurnicher. »

Il grommelle je ne sais pas quoi dans son double menton, mais ne répond pas. Au moins il arrête de pleurer comme un bébé. On a bientôt dix ans quand même ! Presque de grands adultes ! Enfin... dans deux ans.

Les voix commencent à se rapprocher, et je commence à apercevoir les petits cailloux sur la terre ferme malgré le bouillard. La vrai terre ferme qui n'a pas de pieds ! Enfin, à ce qu'on raconte. Si ça se trouve tout l'univers se trouve sur le dos d'un gros animal, tout comme Errand.

Le Monde Sans HistoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant