Harrey

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- Un mois, une semaine et cinq jours en arrière –


C'était un véritable cauchemar. Le Mariage. Tout sonnait faux, les démarches, les robots, les écrans, les papiers... Ça me rend triste pour une raison que j'ignore. Tout semble dépourvu d'humanité... et... d'amour. Même si l'amour n'a rien à voir là-dedans... On forme des paires pour élever les autres enfants de Mère, pas pour concrétiser une idylle amoureuse... Quel genre de monde serait-ce sinon...

Je suis de retour dans ma chambre au Celestial, j'ai quitté les lieux à la minute où j'ai reçu l'adresse de mon foyer après une altercation des plus désagréables avec une inconnue. Je voulais disparaître le plus vite possible, me faire oublier, mais il n'y a aucun doute que toutes les filles présentes au temple de Mère connaissent désormais mon nom et mon prénom. Je ne voulais rien de tout ça. Je ne sais pas ce qui s'est passé. J'essayais de contrôler la situation en faisant comme si de rien n'était. Je voulais fondre dans le décor. Mais après réflexion, continuer d'agir normalement dans un moment de panique est à des lustres de l'idée de se fondre dans le décor. J'aurais dû donner libre cours à ma panique, ou à ma frustration, comme les autres ou je ne sais pas... C'est passé maintenant.

Je m'effondre sur le lit. J'espère que cet incident va être vite oublié. Les éclats rouges du temple me collent aux paupières, et mon pouce me picote encore à cause du tatouage. Je suis mariée à un Pollicem maintenant, et je ne connais ni son visage, ni son nom. Un gargouilli fait vibrer le lit. J'ai complètement oublié que mon corps a des besoins en nourriture. Je n'ai pris ni dîner, ni petit déjeuner, alors que je suis sûre que c'était inclus dans les services payés par mes anciens parents. Je me relève avec beaucoup d'effort. Le cadran sur le mur indique 11h45, la chambre n'est à ma disposition que jusqu'à 12h. Le déjeuner est aussi inclus normalement.

Je remballe les quelques affaires que j'ai sorties, une brosse à cheveux, une bouteille d'eau de parfum et mes vêtements de la veille. Les filles ne sont sensées emmener que leurs effets personnels le jour du Mariage... et la robe grise. Nos vêtements nous attendent au foyer, selon les couleurs de la branche à laquelle on va appartenir. En l'occurrence, noir pour moi. Ce sont donc des carnets et des matériels de dessin qui remplissent ma valise. Je verrouille la porte en sortant et m'engage sur le long corridor tapissé.

Je me dirige vers le restaurant, un vaste espace de la couleur du coucher et du crépuscule avec des griffures marbrées de doré ici et là sur les murs. Les tables sont rondes, nappées d'une douce nuance pastel, entourées de fauteuils rembourrés. L'endroit est animé par des familles et d'autres filles en robe grise. Misère. Des filles en robe grise. Les mêmes filles qui étaient au temple avec moi. Les mêmes filles qui ont assisté au bug. Misère, misère. J'aperçois une table qui vient de se libérer non loin de moi, mais je ne m'y installe pas. L'envie viscérale de vouloir disparaître émerge à nouveau dans mon estomac, et la faim disparaît d'un coup. Et si l'une d'elles me reconnait ? Et si l'une d'elles m'observe en ce moment même ? Quand il y a trop de « Et si... » on n'est jamais en sécurité.

Les yeux collés sur le sol carrelé, je me dirige directement vers la sortie en jetant les clefs de ma chambre dans les mains du portier. Au diable la faim, bonjour la gêne.

Une fois dehors, je me retrouve à nouveau prisonnière du tumulte du monde externe, trop de monde, trop de bruits, trop de voitures, trop d'êtres humains pressés d'aller quelque part alors que moi je ne sais pas où je vais. Je baisse les yeux vers ma bandoulière, l'adresse de mon nouveau foyer y est normalement. Peut-être que je sais où je vais finalement. Je sors la feuille et la retrouve noircie de fusain que j'avais brisé la veille... Mariée, perdue et sale. Bravo Harrey. Tu t'en sors très bien.

Le Monde Sans HistoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant