Andel

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- Un mois et trois jours en arrière -



Il est sept heures et une minute sur l'horlogramme.

Céleste n'est pas encore arrivée.

Ma femme n'est pas encore morte.

Donc tout va bien.

Elle est inconsciente, mais elle respire.

J'ai essuyé son visage et ses mains avec une serviette humide à mon réveil, puis je me suis préparé pour aller au boulot. Là, je fais les cents pas sur le hall d'entrée dans mon nouvel uniforme de Protecteur.

C'est pour tester la flexibilité du tissu que je fais ces va-et-vient. Ce n'est sûrement pas parce que j'hésite à partir et à la laisser seule à la maison. Sans surveillance. Putain, non.

Je devrais d'ailleurs aller vérifier si son état a évolué.

J'entends de faibles coups sur la porte.

Céleste.

Mais je ne l'ouvre pas tout de suite. Sinon elle va penser que j'ai attendu devant la porte comme un idiot. Et il n'y a absolument rien d'idiot chez moi.

Je laisse passer dix bonnes minutes avant de déverrouiller le loquet.

- « Oh. Tu es là. » - dis-je en guise de salut.

- « Je suis là, oui. » - elle passe devant moi comme si les lieux lui appartenaient et se dirige vers la chambre les bras chargé d'un gros sac à main et d'une paire de livres. – « Comment elle va ? » - dit-elle sur ses demi-talons.

- « Aucune idée. Tu lui demanderas quand elle se réveillera. » - Elle s'arrête brusquement, se tourne vers moi juste pour lever dramatiquement ses yeux au ciel, avant de reprendre sa marche. Nous traversons le salon, puis le couloir, et au moment d'entrer dans nos quartiers elle se retourne à nouveau avec une mine amusée.

- « Quoi ? » - dis-je.

- « Rien rien. Je n'aurais jamais cru t'entendre chantonner comme ça. » - elle ne me donne pas le temps de répondre. Elle entre en criant un – « Salut Harreeeey ! » - et dépose ses affaires au pied du lit.

Elle a dit que je faisais quoi ?

- « Elle ne t'entend pas. »

- « Ça, t'en sais rien. » - elle prend un de ses livres et se laisse tomber – littéralement – sur le coin libre du lit. Juste à côté d'Harrey. Son geste m'a fait sursauter pour je ne sais quelle raison. Elle aurait pu l'écraser par mégarde et lui casser un membre en atterrissant au mauvais endroit. – « Tout va bien 'Del ? »

- « C'est Andel. Et oui, tout va bien. Eventuellement. Bon. » - Juste au cas où elle se réveille en mon absence, je répète les instructions du soigneur à Céleste en lui présentant les compléments alimentaires que j'avais pré-déposé sur la table de nuit et lui dit qu'elle a le droit de disposer de la cuisine selon ses convenances. Ensuite de répète une deuxième fois les instructions du soigneur pour lui faire comprendre que c'est important et qu'il faut qu'elle le retienne bien. La meilleure façon de faire assimiler une information aux simples d'esprit, c'est la répétition.

- « Oui, oui, j'ai compris. Vas-y maintenant, mon mari t'attend en bas. »

- « S'il se passe quelque chose d'inhabituel... »

- « Je vous fais appeler. Oui, oui. »

- « Bien. » - dis-je en lui tournant le dos – « Ce soir. »

- « Oui, à ce soir. » - et je les laisse seules, Harrey allongée inconsciente sous les rayons de l'astre qui ont traversé les fenêtres, et Céleste juste à côté, feuilletant distraitement son livre en chantant un air familier.

Je sors de l'appart', m'engage dans l'ascenseur pour me conduire au sous-sol, et trouve Rubb la hanche appuyée nonchalamment sur le capot de sa voiture.

- « C'est bon on y va ? »

- « Ouais démarre. »

On s'installe tous les deux dans la caisse, il fait tourner l'engin, et on est parti en direction du Temple. Lieu de notre affectation qu'on a reçu, sans surprise, le lendemain des épreuves. Et au vu des récents évènements, on a une grosse semaine de retard à rattraper. C'est embêtant.

Je me suis tellement égaré dans mes pensées et dans le défilement du paysage à travers la vitre que je n'avais même pas réalisé que Rubb marmonnait dans sa barbe dans une langue inconnue. Je m'apprêtais à lui faire la remarque quand je réalise qu'en fait, le bâtard est en train de chanter.

- « Tu chantes quoi ? » - m'entends-je demander.

- « Oh, pfff, aucune idée. » - il rigole, puis poursuit en souriant – « C'est sûrement un truc que Céleste m'a chanté avant de dormir. »

- « J'aurais jamais dû demander. » - dis-je en feignant le dégoût.

- « Tsss, vas-y moques toi 'Del, t'es juste jaloux ! » - Il rit de nouveau, puis reprend sa chanson – « ... I see mmh bloom, for me and youuu, and I mmh to myself..."

« What a wonderful world... » - termine une voix de femme dans ma tête. Claire. Distincte. Inconnue.

Non.

Je ne me moque pas.

Parce que la même chanson tourne en boucle dans ma tête.

Et personne ne me l'a chanté avant de dormir. 

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