Le Monde Sans Histoire

Harrey

- Un mois, une semaine et quatre jours en arrière –

Je ne peux plus rien avaler. Je viens de m'enfiler deux sandwiches, une boîte de crackers et un thermos entier de thé. Bien que j'ai essayé de manger le plus lentement possible, je ne peux repousser l'inévitable. L'heure de retourner dans la chambre et de refaire face à mon mari. L'heure de dormir.

Il n'y a que deux chambres dans chaque foyer : celle des parents adoptifs, et celui de l'enfant à élever. Il est fortement recommandé pour les mariés de dormir dans un seul lit afin de créer une certaine complicité pour que l'enfant puisse grandir entouré d'amour et de bienveillance. Mais, bien sûr, il y a beaucoup de mariés qui choisissent de ne pas suivre cette règle. Enfin, je crois. J'espère.

Je termine de faire la vaisselle, essuie mes mains avec un torchon, et me dirige vers la chambre d'un pas hésitant. Je m'arrête devant la porte, mais je ne l'ouvre pas. Ma main reste suspendue dans les airs comme si une barrière invisible l'empêchait de toucher la poignée. Je n'ai rien fait de mal, je ne comprends pas pourquoi je réagis comme ça. 'Comme c'est notre première nuit, c'est mieux de dormir séparément'... Ça ne doit pas être si difficile à dire. 'Salut, j'ai réfléchis pendant que je mangeais et je pense qu'il serait préférable de dormir séparément pour l'instant', non, c'est trop long. 'Dormons séparément', trop direct.

Il est assez tard, il s'est peut-être déjà endormi... Je lui en parlerai demain, oui, en attendant je vais aller sur le canapé... Juste pour aujourd'hui.

J'étais en train de faire demi-tour quand la porte s'ouvrit soudainement.

- « Harrey. Tu ne dors pas encore. »

Je lève les yeux vers lui, ses cheveux sont secs et soigneusement peignés de part et d'autre de son visage. Il ressemble à une petite maison, ça lui donne un petit air enfantin... Mais il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Il s'est changé aussi, son torse est désormais couvert par un large T-shirt et ses jambes sont bien enveloppées dans un jogging.

- « N-non... Où est-ce que tu veux que je dorme... » - dis-je au sol puisque le poids de son regard est trop lourd à supporter. Comment de si petits yeux peuvent-être aussi perçant, je l'ignore, mais j'en subi les effets.

- « Harrey, tu ne pensais quand même pas qu'on allait dormir ensemble dans la cham- »

- « Non. Pitié non. » - le suppliai-je en levant la tête.

- « Pitié. Pitié ? Tu as idée du nombre de femmes qui rêvent de partager mon lit ? »

Quoi ?

Il croise et décroise ses bras autour de son torse. Il a l'air mal à l'aise mais je ne comprends pas pourquoi. Il veut qu'on dorme ensemble ?

- « Tu veux qu'on dorme ensemb- »

- « Non. » - m'interrompit-il – « Dieux non, bien sûr que non. Beaucoup de mariés dorment séparément. C'est permis... tant qu'il n'y a pas de contrôles. »

- « Bien. » - dis-je.

- « Bien. » - Il se gratte l'arrière du crâne puis regarde derrière lui – « Attends-moi là. »

Après quoi il ferme la porte et me laisse plantée là, juste devant le seuil. Il revient une minute plus tard avec un oreiller contre la poitrine et une couette sous l'aisselle.

Oh.

Je l'ai peut-être mal jugé. Il est peut-être gentil finalement, s'il se dévoue à dormir dans le salon pour me laisser la chambre, c'est que ce n'est pas une si mauvaise personne. Je ne dis pas qu'il est mauvais... juste qu'il est un peu... je ne sais pas.