Andel

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- Un mois, une semaine et six jours en arrière –

On dit qu'un homme ne pleure pas.

Pour le coup, je ne sais pas ce que ça fait de moi.

Mon visage est tellement trempé, de sueur, de sang ou de larmes... je ne saurais dire. Je sens chaque racine, chaque mèche de cheveux englué sur mon visage et sur mon cuir chevelu. Ça me donne un besoin urgent de me raser la tête. Des gouttelettes suspendues à mes cils rendent ma vision floue et indistincte. J'ignore si je marche ou si je rampe, si je tremble ou si je tombe... mais j'avance. On avance. Pendant que je me colle à la surface froide du mur, Rubben marche à mes côtés, une main serrant fermement sa blessure au bras.

Durant les premières heures de la nuit, on a couru comme des demeurés Ruben et moi. Comme si on avait la mort personnifiée à nos trousses. Je ne sais plus combien d'étages on a gravi mais on est montés haut au point d'avoir le vertige lorsqu'on regarde en bas. Après c'est normal, dans le noir n'importe quel trou aurait l'air d'un puit sans fond. On a pris autant de vies qu'on pouvait sur le chemin pour rajouter à ceux qui étaient déjà dans les sacs volés. La passerelle devient de plus en plus étroite, idem pour les escaliers. Bientôt il n'y aura plus assez de place pour deux personnes. Je ne sais pas à quel moment notre rythme a commencé à ralentir mais d'un coup j'ai l'impression de marcher dans des sables mouvants et d'entendre ma respiration faire écho dans tout le puit.

Aucun de nous ne parle, la douleur et la fatigue ont bouffé nos voix. En bas, les attaques sont loin de se faire discrètes, loin de s'arrêter. Chacun veut avoir une place dans le classement, personne ne veut être dernier, on tue juste pour être un étage au-dessus de l'autre. L'obscurité nous accompagne dans notre rude épreuve. Dans notre voie vers la victoire et l'honneur, ou bien vers la honte et la mort. Des petits néons rouges parcellent les murs sombres tels les milliers de petits yeux d'un arachnide géant. Ce sont les cibles, petits points rouges qui luisent dans le noir. Les atteindre serait trahir notre position dans le puit, et devenir des cibles à notre tour.

Rubben est dans un meilleur état que moi, je note, même s'il perd beaucoup de sang aussi... au moins il a encore deux jambes intactes pour marcher. Ce qui n'est pas mon cas. Fais chier, je refuse de lui céder la première place. L'amitié c'est beau et sacré mais faut pas trop en demander non plus. Je ne suis ni un dieu ni un saint pour faire passer les autres avant moi. Dans la situation actuelle, j'ai très peu de chances en combat rapproché... Mais avec un peu de distance, surtout caché par les ombres, ça pourrait le faire.

Je traine ma jambe comme un boulet enchainé à ma cheville, j'ai l'impression qu'elle est trouée au point qu'on puisse voir à travers. Rubben marche le dos vouté, il commence à prendre un peu d'avance. Fais chier. Je lève la tête, le ciel commence à s'éclaircir, l'épreuve va bientôt se terminer, je dois agir vite.

Non, je ne peux pas. Mon corps ne coopère pas. Je ne suis même pas capable de prendre appuis sur ma jambe. J'ai besoin d'une bonne dose d'adrénaline pour faire taire la douleur, n'importe quoi. Rubben lance des regards insistant dans ma direction de temps en temps, je me demande s'il pense aux même choses que moi.

- « ... pause ? » lâche-t-il dans un soupir. J'ai conscience d'avoir l'air d'un vieux tocard bancal et démembré mais jamais je n'admettrai que je suis en état de faiblesse. Non. Pas si près du but.

Les mots ne franchissent pas mes lèvres que je sens tout secs et craquelées sous ma langue, avec un gout métallique de sang. Je secoue la tête de gauche à droite en signe de négation. Rubben s'arrête complètement et lâche un long soupir.

- « Andel... »

- « On ne s'arrêtera que lorsque ça sera fini. » m'entends-je répondre avec une voix tremblante.

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