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Les vagues s'écrasent à mes pieds. J'essaie de ne pas trop penser à cette touffe que j'ai retrouvée sous la douche. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive. Ça ne devrait pas tant m'effrayer. D'habitude, ça ne me dérange pas, de voir ce corps en décomposition.

Mais dans l'optique de revoir ce garçon, ça me dérange un peu.

J'ai du mal à me l'avouer.

Depuis qu'il est apparu sur cette plage et que je l'attends tous les soirs, il y a comme une envie au fond de moi, dérangeante, qui veut paraître plus vivant, peut-être plus consistant, moins repoussant, en tout cas.

Il apparaît une nouvelle fois, ce soir. Je souris malgré moi. Je serre mon carnet entre mes mains. J'ai écrit tout l'après midi. Ma plume a glissé sur le grain du papier avec une facilité déconcertante. Ça roulait, s'échappait de mon poignet pour venir se déposer entre les pages. J'ai vu l'encre former des mots, puis des phrases, des paroles que j'ai mis tant de temps à essayer de formuler. Aujourd'hui, c'était plus cru, plus dur, bien que plus fluide, paradoxalement.

Je me demande s'il me demandera de lire.

Aujourd'hui, il n'est pas venu les mains vides. Dans la nuit qui s'installe, je peux apercevoir une sorte de grosse couverture dans sa main droite. Dans la gauche, un sac qui se balance au fil de ses pas. Une fois arrivé à ma hauteur, avant même de me saluer, il étale la couverture sur le sable, se met dans la position du vent, afin que ça soit plus simple. Une fois cela fait, il pose son sac à un coin de la nappe improvisée, et m'indique de faire de même avec mon carnet du côté opposé, afin qu'elle ne s'envole pas. Je m'exécute, avec un million de questions en tête.

Mais j'aime le fait de ne pas comprendre, pour une fois. J'aime attendre pour interpréter ses mouvements. J'aime le mystère qu'il instaure à chacune de nos rencontres. J'aime ses traits aussi accessibles qu'éloignés. Ses expressions aussi claires qu'incompréhensibles.

Une minute, il est une âme qui ricoche à la mienne, et l'autre, il devient une énigme à résoudre.

Je contemple ses cheveux qui sont ballotés par le vent, ses vêtements toujours aussi amples qui volent en arrière, et révèlent une taille fine, et je me dis que l'air de la mer lui va bien. Ça se voit, qu'il est né ici. Que la mer est sa maison, son temple. Moi, je ne suis que de passage, je n'ai pas cette marque de marin, incrustée dans tout ce que j'entreprends.

"Assieds-toi." m'intime t-il.

Immédiatement, je me mets en tailleur, sur la couverture. Lui se place juste en face, et alors il ouvre son sac sur le côté. Il en sort plusieurs tupperwares, des assiettes en plastique, des couverts, ainsi qu'un bol entier sous cellophane de groseilles. Soudain, je me mets à paniquer. Je me dis qu'il ne peut pas me faire ça. Ne peut pas me forcer. Il n'a pas le droit. Mais il semble entendre mes inquiétudes, puisqu'il prend la parole pour la deuxième fois ce soir.

"Je n'ai pas mangé encore, je me suis dit qu'on pouvait faire un pique-nique, c'est sympa. Mais c'est avant tout pour moi, tu sais, tu n'es pas obligé de taper dedans. Après, si l'envie te vient, ne te dérange pas quand même... Mais en fait, j'ai pas juste amené un pique-nique."

Je souffle de soulagement, discrètement, alors qu'il se retourne de côté à nouveau pour atteindre son sac. Il plonge la main dedans et en ressort une bouteille qui me fait froncer les sourcils.

"Je l'ai piquée à Maman."

Sa façon enfantine de parler de sa mère me fait tiquer autant qu'elle m'attendrit, avant que je ne me concentre de nouveau sur la bouteille qu'il pose entre deux tupperwares ; un de melon, l'autre de tranches de saucisson.

NOYADE [Taekook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant