Prologue : L'Éveil

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C'est depuis l'ombre qu'émergent malice et chaos.

Cette phrase retentit en moi. Comme le son d'une cloche qui aurait rebondi avec écho sur les parois escarpées d'une vallée. Son caractère prophétique et lugubre me donnait matière à réflexion. Où l'avais-je entendue ?

Attends. Pourquoi est-ce que je suis en train de courir déjà?

Et pourquoi est-ce que je réalisais seulement maintenant que mon corps était lancé dans un galop effréné au milieu d'une forêt sombre, à la cime infinie et dont l'épais feuillage ne laissait pas filtrer le moindre rayon de lumière ? D'où sortaient ces racines noueuses qui semblaient vivantes et désireuses de m'attraper les chevilles? Quel était ce décor dont j'ignorais tout ?

Sans l'avoir jamais expérimenté, mais par instinct peut-être, soudainement je sus : Je ne m'épuisais pas pour le plaisir. Je fuyais. Et si mon cœur était prêt à exploser sous l'effort ou que mes poumons s'enflammaient, c'était du fait que ma propre vie était en jeu. M'arrêter signifiait que je m'offrais à lui.

Lui, je ne compris qu'en jetant un vif coup d'œil derrière moi qui il était. Enfin, « qu'est-ce que c'était » aurait été plus juste. Décrire cette chose était une tâche complexe puisque ce n'était qu'une masse anthropomorphe et animale, ténébreuse et bouillonnante, déterminée à m'attraper :

Nous... nous... ne ferons qu'un, eu-je l'impression qu'il susurrait dans une sorte de grognement haletant et cliquetant qui répandit un souffle chaud et putride jusqu'à moi.

Comment étais-je arrivé dans une telle situation ? Je n'en avais absolument aucune idée. Mais je devais lui échapper à tout prix. Tout mon corps me l'ordonnait.

Par son gabarit de plusieurs mètres de haut et de large, les arbres s'affaissaient sur son passage comme de simples brindilles et les oiseaux s'envolaient par groupes, aussi paniqués que moi. La terre tremblait comme un tambour à chaque avancée qu'il faisait. Il ne laissait derrière lui que destruction.

À force de me retourner pour ne le voir que gagner du terrain, ce qui devait arriver arriva. Mon pied droit se coinça dans l'enchevêtrement d'une racine. Je fis une pirouette avant et m'écrasai lamentablement dans une énorme fougère qui s'épanouissait là. Recouvert d'humus et avant même que je puisse bouger un orteil, la créature fut sur moi, comme une vague de tempête s'abat inévitablement sur la plage. Je me retournai sur le dos et fus ravi de constater qu'elle me surplombait. À quatre pattes au-dessus de moi, elle approcha de mon visage ce qui lui servait de tête.

Je crus discerner deux yeux au milieu de cette masse informe : deux trous sans fond dans lesquels paraissaient brûler de longues flammes noires qui ne demandaient qu'à m'affliger et déchirer ma chair. Une langue vile et serpentine s'échappa d'une gueule immense qu'il venait d'entrouvrir et atteignit ma joue gauche.J'étais paralysé de peur. La bave de cette chose coula sur mon visage, m'arrachant un frisson de dégoût et m'irrita la peau de par son acidité. Je fermai les yeux et serrai les dents pour fuir cette vision cauchemardesque qui annonçait mes dernières minutes de vie et il siffla :

Matt Dustin...Patience... nous devons encore être patients... quatre, peut-être cinq printemps.

Il se rapprocha ensuite définitivement de moi, me bloquant toute dispersion potentielle en m'écrasant de son poids et prononça d'une voix complètement différente :

– Matt ! Hé oh ! Bouge-toi feignasse !

Je clignai doucement des paupières, dans un fugace instant où le réel se mélangeait encore à ce cauchemar, où ce monde fantasmé ne faisait plus qu'un avec mon existence.

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