Chapitre 4 : Pollice Verso

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- Donc il y a une chance qu'il soit toujours vivant ? demandai-je avec espoir.

- Potentiellement oui, mais je ne sais pas si ça fonctionne pareil dans le cas où l'on trouve un Éclat, me confessa Constant depuis le haut de son lit. Il va falloir que je creuse les recherches là-dessus si tu veux. Je crois qu'il y a quelques livres à la bibliothèque qui en parlent.

Quelques semaines plus tard, mon aventure au sein du tableau tropical était encore un de nos grands sujets de conversation au dortoir. Ce soir-là, comme tant d'autres, Tikka, l'Éclat, et les singes sournois alimentaient nos discussions nocturnes avant de rejoindre les bras de Morphée. Constant, me faisant profiter de ses connaissances, venait à l'instant de me réexpliquer le fonctionnement du temps dans un tableau et sa perception pour les êtres vivants qu'il l'habitait. Et cela venait de faire germer en moi une once de joie et d'espoir.

Depuis que c'était arrivé, je pensais beaucoup à cette dernière scène traumatisante, où un indigène avec qui je venais de sympathiser mourait sur mes genoux. J'en rêvais constamment la nuit, mon esprit marqué au fer rouge par la brutalité de cet évènement. Je m'étais totalement remis physiquement, mais je n'avais cessé de me poser des questions sur ce qu'il était advenu de Tikka. Il y avait d'ailleurs une petite cérémonie en mon honneur pour récompenser ma prouesse : J'étais le plus jeune Syko en date à avoir trouver un éclat. Pourtant, pendant toute cette fête j'avais eût le ventre noué. Impossible de profiter des louanges ou de la médaille que l'on m'avait offerte. Je n'avais rien trouvé du tout, je n'avais rien accompli. On m'avait confié l'éclat, on avait tué un innocent. Je ne le mérites pas, m'étais-je donc répété en boucle.

Constant avait cependant éclairé un peu plus ma lanterne : Il m'avait exposé que lorsqu'un Syko rentrait dans un tableau, il s'immergeait toujours au même moment que l'artiste avait voulu représenter. Ainsi, Geoff avait dû arriver au même instant dans la jungle, devant ces mêmes singes que moi, et si un Syko était rentré après que j'en étais sorti, il aurait aussi vécu la scène équivalente, alors que les singes auraient vécu chaque immersion comme si c'était la première fois qu'ils voyaient un étranger débarquer de nulle part. Et en soi, c'était le cas pour eux, puisqu'à chaque fois que nous ressortions du tableau, le temps se  réinitialisait  dans l'œuvre, comme si un marqueur de temporalité était apposé au moment où l'artiste avait peint la scène.

En revanche, tant que moi ou d'autres Syko restions dans le tableau, le temps se déroulait de manière normale et constante dans l'œuvre. C'était pour cela que j'avais connu la nuit dans la jungle et cette rencontre inattendue. L'équipe de sauvetage qui s'était immergée dans la peinture n'était donc pas arrivée à la temporalité de la scène représentée, car j'étais déjà dedans et du temps s'était écoulé.

Si nous étions sortis du tableau avec un intrabi, plus classiquement, et que nous y étions retournés par la suite, j'aurais vécu à nouveau la découverte avec les singes, comme si j'avais remonté le temps. Et cela voulait dire qu'à cet instant, pour Tikka, notre rencontre n'aurait pas eu lieu et qu'il aurait été encore en bonne santé dans sa cabane égarée au fond de la jungle.

Cependant, en trouvant l'éclat, le tableau avait été scellé et était redevenu une toile traditionnelle pour nous, perdant ses capacités de tableau prime, et empêchant quiconque d'y revenir. J'avais d'ailleurs remarqué qu'il n'émettait plus cette luminosité spéciale, ternissant un peu ses couleurs chatoyantes et lui enlevant un certain attrait. Comme nous ne pouvions y retourner, nous n'avions aucune indication pour savoir comment était resté l'univers derrière...Était-ce redevenu une simple peinture ou son monde continuait-il à exister indépendamment ? Avait-il été une dernière fois remis au point de départ et sauvé la vie de Tikka ou mon ami était-il demeuré agonisant et seul dans sa cabane ? Envisager la deuxième possibilité me fit frissonner sous mes draps et je préférai m'accrocher à une idée plus positive pour ne pas flétrir mon optimisme.

SYKOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant