Le Champ de lys - PRÉQUEL

CHAPITRE 18 - Solidité des racines

Skuma

Pendant plusieurs secondes, interminables, le temps fut comme figé. Skuma n'osait plus bouger, tous ses muscles pétrifiés. Comme si le moindre mouvement, le moindre battement de cil risquait de provoquer un tremblement de terre. Ou de signer l'arrêt de mort de Tialvo.

Stjerna ne dit rien. Elle ne proféra aucun cri, aucune insulte. Elle ne remua même pas les lèvres. Mais ses yeux noirs, si sombres ce soir, brûlaient de désarroi. Le cœur glacé, Skuma remarqua les traces de larmes sur ses joues, encore fraîches, et le désordre de ses cheveux. Elle ne cessait de les dévisager l'un après l'autre, Tialvo et elle. Puis, imperceptiblement, elle pinça les lèvres et redressa lentement les épaules. Elle braqua sur Tialvo un regard dur, presque de défi.

Il n'en fallut pas plus pour relancer son cerveau. Skuma se tourna vers Tialvo, encore dans la pièce, la main toujours posée sur la traverse. Lui aussi semblait sous le choc, presque vulnérable. La douleur déformait ses traits alors qu'il fixait son regard sur Stjerna, si bien que Skuma comprit qu'il savait très bien la relation qui la liait à Kunnias. Mais lorsqu'elle posa une main légère sur son bras, et qu'il tourna la tête vers elle, la lumière perçait toujours dans ses yeux bleus. Elle répondit immédiatement à sa question silencieuse.

—Pars, chuchota-t-elle d'un ton sans réplique.

Laisse-moi mener cette bataille seule. Il lui sourit faiblement, les yeux brûlants, jeta un dernier regard furtif à Stjerna, puis il s'échappa dans un souffle de vent. Aussitôt, sans la chaleur de son âme, la température sembla chuter de quelques degrés.

Mais Skuma s'interdit de regretter sa présence, et se força à reporter son attention sur son amie – si elle pouvait encore l'appeler ainsi, au vu de la froideur qui émanait de tout son être. Stjerna ne fit pas un geste, se contentant de maintenir ses bras croisés, raide comme une armure. La tension s'accumulait, alourdissait l'air de seconde en seconde, tel un nuage noir prêt à éclater en orage. Pourtant, Stjerna ne la regardait pas : ses yeux restaient fixés sur la fenêtre par laquelle Tialvo venait de disparaître. Comme si son fantôme persistait sur la traverse.

Lorsque le silence atteignit les limites du supportable, Skuma tenta d'articuler quelques mots, malgré le nœud qui obstruait sa gorge.

—Stjerna, je...

—Tais-toi.

La jeune Noxaine, aux trais d'habitude si doux, braqua sur elle un regard terrible. Le dégoût que Skuma y lut lui retourna l'estomac. Sans s'émouvoir de son désarroi, Stjerna se rapprocha d'elle de quelques pas, puis lui agrippa les avant-bras avec violence.

—Dis-moi que ce n'est pas ce que je crois.

Piégée dans ses yeux inquisiteurs, Skuma déglutit, mais resta muette. Dans le silence de la cabane, leurs respirations résonnaient bien trop fort. Les lèvres de Stjerna frémirent.

—Skuma, je t'en prie, dis-moi que ce n'est pas ce que je crois, répéta-t-elle d'une voix tremblante.

Tremblante de rage et de douleur. Incapable de soutenir son regard, Skuma baissa les yeux. Jamais elle ne s'était sentie aussi coupable. Elle avait l'impression que son cœur se déchirait en deux.

Face à son silence, Stjerna la lâcha brutalement. Une seconde plus tard, un jet d'eau glacé la frappa de plein fouet, et la trempa de la tête aux pieds. Les muscles tétanisés, elle laissa échapper un hoquet de surprise. Elle leva les yeux vers Stjerna qui la fixait d'un regard incendiaire.

—Dumbarin, siffla cette dernière.

—Stjerna, je suis désolée...

—Dumbarin, répéta-t-elle d'un ton dur. Comment as-tu pu ? Comment as-tu pu, en sachant ce qu'il a fait ? Comment...Comment as-tu pu être aussi stupide ?