CHAPITRE 15 - Pétales fanés

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Skuma

— Je l'aime.

La gifle frappa sa joue sans qu'elle ait eu le temps de s'y préparer. Mordant sa lèvre de toutes ses forces pour réprimer un gémissement de douleur, elle leva les yeux vers sa mère. Sa mère dont les yeux, du même noir que les siens, transperçaient son corps sans la moindre pitié.

— Je t'interdis de répéter ce genre d'ineptie, asséna-t-elle d'une voix glaciale. Par Solila, je ne pensais pas que tu pourrais te comporter avec une telle bêtise !

Le cœur de Skuma rugit. Elle aurait pensé qu'à force, des mots de ce type ne parviendraient plus à la blesser. Elle ne cessait de les entendre depuis les dernières heures. Mais impossible de réprimer la brûlure que chaque parole dédaigneuse causait à son cœur. Surtout de la part de ses propres parents.

Le dos droit, elle s'efforça de garder ses yeux fixés droit devant elle. Elle ne flancherait pas. Elle regarda sa mère se rasseoir sans bruit à côté de son père, puis redresser son buste en une élégante posture, travaillée depuis tant d'années qu'elle était devenue naturelle.

Elle ne comprenait toujours pas pourquoi ses parents avait exigé de la voir à quatre heures du matin, alors que le reste de l'internat dormait à poings fermés. Une surveillante était venue la tirer du lit, et elle avait à peine eu le temps d'enfiler une robe de chambre par dessus sa chemise de nuit qu'elle se faisait escorter jusqu'au petit salon réservé aux visites. Ses parents l'y attendaient, apprêtés comme s'il s'apprêtaient à rendre une visite de courtoisie.

Skuma s'en sentait encore plus fragile. Affronter ses parents était déjà difficile. Le faire en tenue de nuit alors qu'ils apparaissaient plus imposants que jamais l'était encore davantage.

— Peu importe ce que tu penses, reprit son père. Désormais, cet Hémérien est mort à tes yeux. Tu ne le verras plus jamais, et tu ne chercheras plus jamais à le voir.

Son ton ne souffrait aucune réplique. Aucune réclamation, aucune négociation. Son visage, inexpressif, restait aussi impénétrable qu'un masque de marbre. Et d'une dureté équivalente.

Skuma ne répondit rien. Elle serra les poings, et se contenta d'attendre en gardant l'expression la plus neutre possible. Ses parents n'en avaient clairement pas fini : ils ne lui avaient encore rien dit.

Je l'aime.

Je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime je l'aime.

Comme si ces mots pouvaient les sauver.

— De toute façon, tu n'en auras pas l'occasion, poursuivit son père. Nous nous sommes arrangés avec les parents de Marm.

Le cœur de Skuma s'accéléra, alors que son père rivait ses yeux aux siens. Son ventre se crispa tandis qu'une bouffée de panique remontait dans ses poumons. Elle enfonça ses ongles dans la paume de ses mains.

— Tu l'épouses demain matin.

Pendant une seconde, les sons se brouillèrent dans ses oreilles, des points noirs se mirent à danser devant ses yeux. Puis elle crut qu'elle avait mal entendu. Mais il lui suffit d'un regard sur le sourire froid de sa mère et l'expression résolue de son père pour comprendre qu'elle ne souffrait, malheureusement, d'aucune déficience auditive.

Elle fut prise d'une furieuse envie d'éclater de rire. Sa poitrine se contracta, une nuée de tremblements secoua son corps.

— Je... Il...

— Ce n'était pas une question, coupa son père.

Skuma ferma brièvement les yeux. Renonçant à contenir ses émotions, elle plaqua une main contre ses lèvres – pour réprimer des gloussement ou des sanglots ? Elle n'aurait su le dire. L'ironie de la situation la frappait en plein visage. Quelques semaines plus tôt, une telle annonce lui aurait fait tourner la tête.

Le Champ de lys - PRÉQUELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant