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Aussitôt dit, aussitôt fait.

Le lendemain, nous arrivons à Nairobi, capital du Kenya. Soleil qui réchauffe le cœur, population chaleureuse et accueillante, plats gouteux et épicés, tant de choses à voir mais nous ne restons pas assez longtemps pour tout voir. Etant arrivés en après-midi, nous avons dû aller à la villa, que Stephen a acheté pour l'occasion, pour passer la nuit. Les enfants avaient tellement hâte d'être au lendemain, qu'il fut compliqué de les endormir. Moi aussi j'avais hâte, j'ai grandi dans les montagnes, mais je n'ai encore jamais rencontrée d'animal sauvage. Le lendemain, Deux bus viennent nous prendre à la villa, assez spacieux, peinture aux motifs zébrés, et trois toits ouvrants sur chacun.

Dans le premier, seuls les gardes du corps embarquent, nous prenons alors le deuxième. A bord, le guide, à droite du chauffeur, la grande famille et trois gardes du corps en plus. Le fait qu'il ne soit pas présent pour ce voyage, a poussé Stephen à renforcer la sécurité, par simple précaution, et ce n'est pas plus mal au fond. Quoi qu'il en soit, nous prenons la route avec les vitres fermées pour profiter de la climatisation du véhicule tout le long du trajet alors que le soleil brille de mille feux à l'extérieur.

Au son des histoires du guide, nous passons maisons, marchés, grands immeubles imposants et embouteillages. Heureusement, nous avons pris assez de nourriture et d'eau pour passer la journée. Il faut bien compter six longues heures, avant de passer le point de contrôle et de voir le paysage se vider, la route se confondre dans le sable, les plaines herbeuses se dévoiler, et les premiers animaux apparaitre. Les girafes qui se pavanent majestueusement dans l'herbe jaune qu'elles broutent de temps en temps, les zèbres qui se collent les uns aux autres, une famille d'éléphants qui se baignent aux bords de la rivière, un couple de lions qui dort sous l'ombre d'un arbre fin. Le spectacle qui s'offre à nous est juste magique.

Les appareils photos trouvent de quoi remplir leurs mémoires alors que chacun filme tout ce qui est filmable. Tour à tour, les enfants se font soulevés pour pouvoir regarder à travers le toit ouvrable. Le spectacle d'une savane sauvage dans son plus simple appareil, met tout le monde de bonne humeur, pas de disputes, pas de pleurs, pas d'inquiétudes. Il y a tellement à voir, que je ne sais plus où donner de la tête. A mon tour, je sors ma tête du toit ouvrable, pour regarder les animaux d'un peu plus près. A travers mes jumelles, j'aperçois les hippopotames se prélassant dans une marre de boue.

Je fonds en voyant le bébé hippo se retourner sur le dos pour patauger dans la boue, qu'il est mignon. Puis, en cherchant une autre scène à contempler, mon regard est attiré vers un 4×4 noir et poussiéreux, transportant, à l'arrière, six ou sept hommes noirs, lunettes noirs, visages couverts par des écharpes aux couleurs fades et poussiéreuses, avec des vêtements de la même teinte, a leurs bras sont accrochés des mitraillettes et je n'ai pas l'impression qu'elles soient fausses. Leur voiture vient dans le sens opposé aux nôtres et ils roulent à toute vitesse, si vite que leur passage soulève une tempête de sable derrière eux, si vite qu'avant que notre premier bus ne puisse changer de trajectoire, leur voiture lui rentre dedans sans hésiter, faisant freiner violemment notre bus.

Aussitôt, comme si je comprenais ce qui se passait, comme si le danger était évident pour moi, je redescend dans le bus avant d'ordonner à tous d'aller au fond du bus, de se mettre à couvert et de tenir les enfants. Un des gardes du corps se tient devant nous, tel un bouclier, avec son arme en main. Les deux autres se tiennent accroupis, chacun près d'une porte, leurs armes prêtes à tirer. Le guide se porte volontaire pour descendre aller parler avec les inconnus qui nous bloquent la route. Encore sous le choc de la scène qui s'est déroulée sous mes yeux, je tremble et mon cœur bat à cent à l'heure. Qu'est ce qui se passe ? Qui sont ces gens ? Que veulent-ils ? Et ces armes ? Ils veulent nous tuer ? Mais pourquoi ?

Alors que les questions se bousculent dans ma tête, des voix inconnues raisonnent dans une langue inconnue. En levant la tête vers la fenêtre a côté de moi, j'arrive à voir ce qui se passe devant. Les hommes voilés se disputent violemment avec le guide qui a pourtant les mains en l'air pour leur montrer qu'il n'est pas armé. Mais les hommes voilés continuent de hurler en langue, en pointant leurs armes sur le guide. Finalement, le cou part, une balle en pleine tête du guide, le projette au sol, inerte et la nuque se vidant de sang sur le sable. A peine a-t-on le temps de comprendre ce qui se passe, les portières du premier bus s'ouvrent violemment, laissant sortir nos gardes du corps armés jusqu'aux dents.

S'en suit une rafale de coups de feu tirés dans tous les sens alors qu'un second 4×4 approche et que d'autres hommes, du même style, en descendent et se joignent à la fusillade. Terrifiée par le bain de sang qui se produit dehors, je détourne le visage et me retourne vers Felix et Violet qui tremblent de peur à côté de moi. Je les enlace et les serrent fort contre moi pour les rassurer et me rassurer par la même occasion. Mais ça n'en finit pas, les balles pleuvent de partout et certaines touchent notre bus. Nos roues sont touchées, elles éclatent et le bus se bouscule à cause du déséquilibre. Les enfants crient de peur et se raccrochent à ce qu'il y a de plus proche, je panique aussi intérieurement mais essaye de ne pas le montrer pour ne pas alimenter l'angoisse déjà présente.

Et là, plus rien. Un silence inquiétant raisonne, comme le silence après le passage d'un éclaire, un silence qui nous laisse des interrogations en tête. Je relève alors ma tête pour guetter par la fenêtre, mais mes yeux le regrettent aussitôt. Des cadavres gisent sur le sol, majoritairement ceux des hommes voilés, mais quelques-uns de nos hommes sont également à terre. Leur sang éclaboussé dans tous les sens teinte le sable d'une couleur rougeâtre immonde. Leurs corps cadavériques sont alignés comme les fils emmêlés d'une toile d'araignée morbide. Cette toile je la connais bien, c'est presque la même que celle de ce jour-là, ce jour atroce, le jour de cette fusillade dans mon village, où les corps inertes de mes parents se sont effondrés sous mes yeux, le même regard, le regard vide de ma sœur se vidant de son sang.

L'espace d'un instant, je revois cette scène atroce, je me revois, pétrifiée par la peur, le sang de mes parent éclaboussé sur mes vêtements, les larmes aux yeux, la gorge serrée par l'odeur ferreux qui remonte dans l'air et la rend lourde et irrespirable, les battements de mon cœur qui raisonne comme des tambourins dans mes oreilles.

- May... Est-ce que ça va ?

La voix douce de Jayna me ramène brusquement sur terre. Elle me regarde avec un mélange d'incompréhension et d'inquiétude, et me caresse le dos comme pour me dire que tout ira bien. Je lui réponds par un faux sourire qui se veut rassurant, mais en réalité la panique persiste en moi. Pour essayer de sortir de ce cauchemar, je cherche autre chose sur quoi me concentrer. Je remarque alors Daisy qui se lève et se dirige vers la porte, surement pour aller voir ce qui se passe dehors. Mais j'ai un mauvais pressentiment, alors je me lève pour aller la retenir. Au même moment, une étincelle attire mon attention au loin, comme le reflet du soleil sur un miroir.

Sans même étudier la situation, mon corps réagit avant mon cerveau. J'agrippe Daisy et me pose devant elle comme un bouclier. La seconde qui suit, un coup de feu résonne au loin, si fort dans ce silence, que le bruit fait s'enfuir les oiseaux. Le regard horrifié de Daisy se pose sur moi alors que je reste figée, avec l'impression que tout autour de moi se passe au ralentit. La vive douleur au niveau de l'épaule droite, le cri de terreur d'une des filles, les coups de feu qui se remettent à retentir dehors. Je pose ma main sur cette zone qui me fait soudainement souffrir sous mon vêtement étrangement trempé, et quand je relève ma main ensanglantée vers mon visage, mon cœur manque un battement. Mes jambes se flagellent et je m'effondre dans les bras de Daisy qui hurle d'inquiétude, des mots que je comprends de moins en moins, au fur et à mesure que je sombre dans les ténèbres...

HostageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant