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J'embarque aussitôt dans mon jet direction Kazan. Je n'arrive simplement pas à croire ce que je viens d'entendre, c'est impossible. De grosses gouttes de sueur mouillent mon costard malgré l'air conditionné, mon cœur bat à vive allure, ma jambe tremble malgré moi. Mais je continue de croire qu'il y a une erreur, une explication, elle ne peut pas être partie comme ça. Malheureusement, quand j'arrive sur place l'évidence me clou sur place. L'immeuble est totalement carbonisé, en ruine, manquant de s'effondrer, l'odeur des meubles brûlés et mouillés perturbe les sens, le brouillard de fumé est si épais qu'on pourrait s'y perdre.

Un attroupement de passants et de journalistes, bloque le passage. Je me laisse guider par mes derniers sens encore actif, et me fraye un chemin entre les policiers, les pompiers, et le personnel hospitalier en panique, et arrive, sans même me rendre compte, dans la pièce où elle était. Il y a bien un corps sur le lit. Un corps complètement carbonisé, totalement méconnaissable, qui ne lui ressemble que de forme et de corpulence. Un maigre corps féminin allongé sur le lit, comme si elle attendait patiemment de se faire consumer par les flammes. Je m'agenoue auprès de ce qui était un lit et qui n'est maintenant plus qu'un amas de cendres. Mes mains et mes jambes tremblent encore et les larmes dans mes yeux me brouillent la vision. Je continue de me répéter que ce n'est pas possible malgré l'évidence sous mes yeux.

Mais je ressens comme un coup de fouet dans l'âme, lorsque je remarque l'alliance sur ce qui était censé être sa main mais qui n'est maintenant plus un morceau de bois dur et mouillé en forme de main.

- Ce n'est juste pas possible... Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi me quittes-tu maintenant? Qu'est-ce que je vais faire sans toi ? Ce n'est pas juste... On avait encore tant de choses à vivre ensemble... Pourquoi me laisses-tu? Que vais-je faire sans toi ?...

Mes pleurs et mes interrogations ne sont que plus aggravés lorsque je me remémore le dernier sourire qu'elle m'a offert avant que je ne quitte la pièce ce matin, lorsque je me remémore la douceur de ses lèvres sur les miennes la veille, lorsque je me remémore la chaleur de ses bras me cajolant lors des nuits fraîches. Je me sens vide et inutile. Où étais-je lorsqu'elle avait besoin de moi ? A quoi me sert toute cette richesse maintenant qu'elle n'est plus là ? J'ai l'impression que j'ai vécu toutes ces années juste pour elle, et maintenant qu'elle n'est plus là je ne sais plus quoi faire. J'aurais dû mourir avec elle... Je n'aurais pas dû partir... Je n'aurais pas dû la laisser... Mais c'est finit... Je ne te quitterais plus jamais...

- Tu m'entends May ? Je ne te quitterais pas... Je t'ai dit que même la mort ne nous séparera pas... Mon amour...

Malheureusement, tout le monde ne peux pas comprendre ce que je ressens. La preuve, des pompiers sont venus essayer de nous séparer, sous prétexte qu'il fallait embarquer le corps. Mais il est hors de question que l'on me l'enlève encore une fois. Je me débats et finit par cogner violemment l'un des pompiers. Il tombe au sol, mais j'ai déjà perdue mon sang froid. Je me déchaîne sur lui et envoie dans mes poings, toute la rage, la colère et la peine qui est en moi, et même le sang qui gicle a chacun de mes coups, n'arrive pas à m'arrêter. D'autres pompiers tentent de venir me maitriser, mais je ne me gêne pas pour en cogner un deuxième, puis un troisième, jusqu'à ce que je sente soudain, une aiguille s'enfoncer dans mon bras. La seconde d'après, le paysage se floute, avant de s'obscurcir brusquement, mon corps me lâche et je me fondre au sol.

Je me réveille beaucoup plus tard dans la nuit, sur un lit d'hôpital, le corps engourdis et les sens aussi encombrés que mon esprit. Après une visite rapide du docteur, des agents de police viennent m'expliquer ce qui s'est passé. Je n'ai pas assez de force pour réagir ou pour montrer la moindre émotion, mais des bribes que je comprends, je ne me sens que plus mal. Apparemment un appareil électrique défectueux aurait explosé dans la chambre de May, c'est donc de la que le feu s'est propagé. Tout le monde a pu s'échapper de l'immeuble avant que le feu n'éteigne le rez-de-chaussée. Le temps que les pompiers arrivent l'immeuble était déjà entièrement pris dans la braise. Elle était donc la seule victime...

L'hôpital a bien entendu été tenu pour responsable et a dû fermer quelques temps plus tard. Je me suis personnellement chargé de bruler au buchet tous ces gardes de corps, qui étaient cessés protéger ma femme au péril de leurs misérables vies, et qui n'ont pas eu le courage de braver les flammes pour aller la chercher. Ils iront lui présenter des excuses dans l'au-delà. Mais quelque chose ne va pas, quelque chose cloche. C'est diffèrent de lorsque j'ai vengé la mort de Luce et d'Abbie. J'ai l'impression de demeurer dans le faux, que la vérité m'échappe, que toutes les cartes ne sont pas posées sur la table. Ce sentiment me perturbe, me trouble, m'empêche de trouver le sommeil ou même de faire mon deuil. D'ailleurs, est ce qu'il y a lieu de faire son deuil ?

Plusieurs mois se sont déjà écoulés depuis l'incendie, la vie autour a plus ou moins repris son cours normalement, mais je n'arrive pas à tourner la page. Je passe mes nuits seul, enfermé dans ma chambre avec une bouteille de whisky, mais aucun alcool ne m'enivre aussi bien qu'elle. Je vais sur sa tombe tous les jours, elle repose aux cotés de Luce et d'Abbie dit-on, mais je n'en suis pas si sûr. Je me remémore sans cesse ce qui s'est passé, de nos ébats nocturnes jusqu'à l'incendie. Tout semble normal, un peu trop normal, un parfait accident. Plus j'y pense, et plus j'ai l'impression que ce n'était pas un accident. Et si elle n'était pas morte ?

Cette question me hante depuis des mois déjà. Je finis par céder à la tentation de mener personnellement une enquête approfondie. Pourquoi cet appareil a-t-il soudainement explosé ? Comment cette explosion a pu être assez forte pour causer autant de dégâts ? Comment le feu a-t-il pu se propager si rapidement ? Et surtout, qui est la dernière personne à être entré dans cette chambre ? Plus je m'enfonce dans cette enquête, plus j'en suis sûr. Elle est vivante...

J'en suis certain, elle est vivante, elle se cache, elle a simplement voulu me punir, mais elle ne pourra pas me fuir éternellement. Les filles disent que j'ai l'air d'un fou, que je devrais aller voir un psy parce que mon obsession pour May est en train d'avoir raison de moi. Mon obsession ? Est-ce de l'obsession de vouloir la vérité ? Est-ce de l'obsession de ne pas pouvoir être séparé d'une personne ? Dans ce cas, oui, je suis obséder par elle. Et même si tout le monde pense que je suis devenue fou, que je suis dans le déni ou que je me fais des idées, rien ni personne ne m'empêchera de la retrouver. Je sais qu'elle est vivante, qu'elle est quelque part, qu'elle m'attend, mais même si elle ne m'attend pas, qu'elle me déteste, je la retrouverais quand même.

Je fixe son alliance posée sur mon bureau et savoure mon verre de cognac sec. Si seulement ce corps n'avait pas cramé au point que même les empreintes fondent, j'aurais pu leur prouver que j'ai raison. Mais ce n'est pas grave, je vais me passer volontiers de leur approbation.

J'arrive mon amour... Attends-moi... Où que tu sois...

HostageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant