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Le troupeau de buffles fou passe finalement, sans se soucier de nous qui n'étions plus sur son passage. Mais personne n'ose dire un mot et personne ne sais vraiment comment réagir a cet instant. Mais dans toute cette angoisse et cette inquiétude, je me force à me redresser en entendant les enfants pleurer. Leurs sanglots raisonnent comme les miens, ceux de ce jour-là. En me redressant, je remarque le paysage chaotique en face de nous, une vingtaine de cadavres au sol, peut-être plus, notre escorte entière, nos assaillants et Abbie... Tous piétinés, ratatinés, déchiquetés, sanguinolents, même les bus sont s'en dessus dessous... Il nous faut partir d'ici... Je ne souhaite de personne de demeurer si longtemps, si jeune, si proche des cadavres, comme moi jadis.

Je me lève donc d'un bond, essuie rapidement mes larmes, et presse tout le monde à se lever pour que l'on se mette en route, n'importe où loin de ce tableau d'horreur. Mais Luce m'arrête dans mon élan en reprenant son calme.

- On ne peut pas partir comme ça, les enfants mourront de faim et de soif avant d'arriver où que ce soit

- Le bus est dans un sal état, je ne pense pas qu'on puisse en tirer grand-chose

- Ça ne coute rien d'essayer

Je n'arrive même pas à regarder dans la direction du bus, tellement le chemin est parsemé de cadavres plus atroces les uns que les autres. Mais je suppose qu'elle a tout de même raison.

- Si tu t'en sens capable vas-y... On t'attendra un peu plus loin... Soit prudente...

Elle hoche doucement la tête et s'en va vers le bus, récupérer ce qui est récupérable. Jayna et Holly se portent volontaires pour l'accompagner. Nous autres, allons dans le sens opposé, essayant de calmer les enfants tristes, apeurés et terrorisés, tout en les éloignant de cette vision macabre. D'ailleurs, je me questionne encore sur l'identité de nos assaillants, ils étaient trop bien armés et violents pour être de simples voleurs. Peut-être des braconniers ? J'ai entendue dire qu'il y en avait dans le coin, traquant les éléphants et les rhinocéros. Ou peut-être qu'ils nous visaient personnellement...

Quelques minutes plus tard, nous sommes rejoints par les filles rapportant dans un sac, quelques restes de nourriture pas trop écrasées, nos vêtements de rechange, ce qui a survécu de la boite à pharmacie, mais surtout, de précieuses bouteilles d'eau. On se partage le breuvage en essayant de ne pas tout finir d'un coup, le liquide glisse dans ma gorge sèche et me rafraichit de l'intérieur, si bien que mes idées semblent plus claires. Daisy nous propose de rester ici, peut être que par chance, la compagnie du safari verra que l'on n'est pas revenu et ils enverront une équipe nous chercher. On accepte docilement, de toute façon, en plus de ne pas savoir dans quelle direction aller, on ne marcherait pas longtemps avant que la nuit ne nous tombe dessus.

Nous restons donc sur place, espérant que les secours arrivent au plus vite, parce que rien ne va. Ma blessure s'est rouverte et saigne à travers le pansement, mais je n'ose même pas me plaindre de la douleur pourtant bien aigue. Livia, enceinte huit mois déjà, souffre du rapprochement de ses contractions, de plus en plus violentes, surement à cause du stresse de la situation. Nos vivres ne tiendrons pas jusqu'à demain, alors priorité aux enfants et femmes enceinte, de toute façon, toutes ces mésaventures m'ont coupées l'appétit. L'ambiance est bien trop calme et morose, chacun fait son deuil dans son fort intérieur et prie pour rentrer au plus vite en lieu sûr.

Alors que le chaud soleil laisse progressivement place à une nuit plus fraiche, on enflamme un vêtement quelconque et se rassemble autour du feu pour se tenir au chaud. La nature autour nous chante une berceuse terrifiante en mélangeant cris de mammifères et d'insectes, mais les petits arrivent à trouver le sommeil dans le confort des bras de leurs mères. Malgré la beauté des étoiles au-dessus de nos têtes et le vent frais de la savane, cette nuit restera gravée dans ma mémoire, comme l'une des pires...

Au petit matin, les choses ne s'étaient pas améliorées. Tous les enfants sont atteints de fortes fièvres et vomissements, Violet a disparue et Livia perd les eaux. Rien ne va, c'est le chaos total, j'en ai des maux de tête, c'est quoi ces vacances de merde !? Et les secours qui n'arrivent toujours pas. N'ont-ils pas remarqués notre absence ? Ou notre passage a été effacé ? Cette pensée me traverse la tête avec un sentiment d'évidence, mais je n'ai pas vraiment le temps de plus y penser. Entre Karla qui ne sait plus où donner de la tête avec tous ces malades, et Brooke et Livia qui se laissent envahir par une panique contagieuse, je dois intervenir. Je me lève donc d'un bond et parle assez fort pour faire cesser tout ce bruit.

- Je vais aller chercher Violet

- (Evelyne) Tu es folle ! Tu ne peux pas y aller seule, en plus tu es blessé

- (Brooke) Je viens avec toi

- (Yasmine) Moi aussi

- (Moi) D'accord. Karla, tu aurais besoin que je ramène quelque chose ?

- (Karla) De l'eau, le plus d'eau possible. Livia ne commencera pas à pousser avant sept ou huit heures, mais tout matériel est le bienvenu...branches, feuilles...n'importe quoi qui peut te sembler utile...

- (Livia) Et des fruits si tu en trouve... Argh... Si ce gamin ne m'a pas tué avant...

- (Evelyne) Et si les secours arrivent ?

- (Moi) Vous n'aurez qu'à leur indiquer dans quelle direction nous sommes allées. On ne peut pas rester les bras croisés et attendre alors que Violet est je ne sais où, exposée a je ne sais quel danger

Suite à cela, les filles ne trouvent plus rien à redire. De ma main mobile, je vide le sac et le remplit des bouteilles vides et tout ce que peux contenir de l'eau. Grace vient m'aider pour aller plus vite, et porte ensuite le sac. Je me mets donc en route, dans n'importe quelle direction, accompagnée de Brooke, Yasmine, Grace et Luce. Nous marchons ainsi dans un silence sinistre, pendant plusieurs minutes, plusieurs heures, trop longtemps. Et plus on avance, plus le paysage change. Moins de sable, l'herbe jaune a laissée place à de hauts buissons verts, et les maigres arbres que l'on pouvait compter sur les doigts de la main sur une dizaine de kilomètres, se sont beaucoup plus rapprochés.

On peut distinguer au loin quelques têtes de girafes, derrières des arbres, ruminant joyeusement. Les plaines se remplissent, au fur et mesure, des troupeaux de zèbres et de gnous, mêlées dans un paisible accord. Malgré la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons, la nature suit son cours et continue d'exhiber sa beauté. J'aurais aimé qu'Abbie voie ça... Mais je me demande si Violet est vraiment passé par ici...

J'aperçois à l'horizon, au milieu des buissons, un petit point d'eau claire, sans l'ombre d'un animal autour. Je fais donc signe a Grace et nous y allons récupérer de l'eau, pendant que les autres cherchent des fruits, des baies, ou une trace du passage de Violet. Apres avoir remplis tout ce que nous avions avec de l'eau, nous faisons marche arrière pour rejoindre Brooke et les autres, mais Luce manque à l'appel. Quand j'entends soudain, une petite voix frêle ressemblant à la sienne derrière nous. Nous nous retournons et sommes choquées de la voir sortir doucement d'un buisson en trainant son pied gauche comme s'il était lourd, avant de perdre lentement appuie et de tomber au ralentie. Nous accourons vers elle, affolées, ne sachant même pas quoi faire. Elle est brulante, transpire à grosses gouttes, devient bleu, comme si elle n'arrivait plus à respirer, avec les yeux qui louches.

Je ne suis pas médecin ou infirmière, mais j'ai vu la mort assez de fois pour pouvoir le reconnaitre de loin. Et mon sentiment ne fait que se confirmer.

- (Yasmine) Luce... Luce, non... Qu'est ce qui t'arrive...

- (Luce) U-un... serpent... d-dans l'herbe...

- (Yasmine) Un serpent ? Tu t'es fait mordre !?

Yasmine regarde rapidement sur elle et tombe vite sur ces deux petits trous ensanglantés au milieu de sa jambe déjà bleue. J'ai l'impression de sentir des aiguilles se planter profondément dans ma poitrine alors que les larmes s'échappent de mes yeux. Pas encore... Non pas ça... Je ne veux plus les voir mourir... Mais que faire ? Il faut retirer le venin... Non, bloquer le sang... Ou alors... Ou alors...

Ma pensée se fige en l'entendant chuchoter dans un dernier soupire.

- Violet...n'était pas ici... 

HostageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant