Bianca
11 Octobre 2020Orphelinat de Los Angeles
Échec et mat.
Je bats Thalia pour la énième fois aux échecs. Son air perplexe m'arrache un rire moqueur.
— Pas encore ! râle-t-elle en s'affalant sur sa chaise.
Je hausse les épaules en guise de réponse.
Thalia, une petite brune de dix ans, est arrivée à l'orphelinat il y a déjà un an. Avec ses yeux noisette qui s'accordent parfaitement avec son teint mat, elle est à croquer tant elle est mignonne.
Chaque jour, elle et moi jouons aux échecs. Elle est douée, très douée même; elle a failli me battre à plusieurs reprises. Je dis bien "failli" car personne ne peut me battre à ce jeu. Je n'ai pas encore trouvé d'adversaire à ma taille.
Je prends mon carnet, qui ne me quitte jamais, et lui écris quelques mots avant de le retourner pour qu'elle puisse lire :
"La prochaine fois, peut-être."
— Tu parles, je ne gagnerai jamais
contre toi, réplique-t-elle en faisant la moue.Ouais tu as raison.
— Bianca, peux-tu venir m'aider ? crie une petite voix.
Je me lève de ma chaise, carnet en main, en laissant Thalia concocter de nouvelles stratégies pour pouvoir gagner la prochaine fois, et je rejoins Zoé, assise sur le petit tabouret face au piano.
Quand je suis arrivée à l'orphelinat, Zoé n'était qu'un bébé. D'après les éducatrices, elle a été retrouvée dans les ordures, dans un état pitoyable. Sans doute une mère qui ne pouvait pas assumer. Zoé est tout aussi mignonne que Thalia, avec sa chevelure dorée et ses yeux bleus se mariant parfaitement avec son teint pâle.
— Je bloque sur ce passage, explique-t-elle en pointant des notes de musique.
Je hoche la tête et m'assois à côté d'elle, laissant mes mains effleurer les touches, qui émettent à chaque contact une mélodie harmonieuse. J'encourage Zoé à observer les mouvements de mes doigts. Mes paupières se ferment, transportées par le doux son de "Clair de Lune" de Claude Debussy. Soudain, des images apparaissent derrière mes paupières fermées.
La scène que j'essaie tant bien que mal d'oublier depuis neuf ans se déroule devant moi.
"Sois maudite, Bianca ! Je te maudis !" disait ma mère, alors que le sang coulait le long de sa gorge avant qu'elle ne s'effondre au sol, rendant son dernier souffle.
J'ouvre brusquement les yeux, réalisant que je viens de faire une fausse note.
— Ça va, Bianca ? Je te sentais ailleurs, s'inquiète Zoé en posant sa main sur mon avant-bras.
J'attrape mon carnet, écris rapidement quelque chose et le lui tends.
"Désolée, mon cœur. Je ne me sentais pas bien, mais j'espère t'avoir aidée avec ton blocage."
— Oui, ne t'en fais pas, merci, répond-elle en souriant.
Je lui rends son sourire, puis me lève précipitamment pour me rendre à la salle de bain. Une fois à l'intérieur, j'inonde mon visage d'eau, comme si je voulais effacer cette scène de ma mémoire, espérant naïvement que cela fonctionnerait.
Je ne fais qu'espérer.
Sentant mes yeux picoter, je m'arrête, essuie mon visage et quitte la pièce.
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LA MAUDITE
RomanceBianca n'avait qu'un besoin vital : l'amour de sa mère. Pourtant, étant une enfant non désirée, elle fut constamment victime de la folie de cette dernière. Après un viol, une femme ne redevient jamais la même. Mais est-ce la faute de l'enfant si sa...