MENSONGES

CHAPITRE TREIZE :

Comme chaque hiver, la clique se rendit à la patinoire.
C'était une tradition qui était née de leurs habitudes communes puisque durant leur première année d'amitié, ils avaient eu le bonheur de constater que tous partageaient cet amour pour la piste verglacée.
Amour qui ne signifiait pourtant pas don.

Même si les enfants Saint-Yves fréquentaient la patinoire en possédant tout un attirail de compétition, ils avaient un niveau plutôt moyen et ne parvenaient à exécuter des figures que très rarement. Teodor préférait la patinoire provisoire que dressait le marché de Noël et mettait toutes ses chutes sur le compte de la différence entre cette dernière et celle qu'ils fréquentaient sur la demande d'Isaak.
D'Isaak et de Seven puisque cette dernière avait suivi un entraînement sportif depuis son plus jeune âge, et il n'était pas question qu'elle mette les pieds sur ce qu'elle estimait être de la glace de mauvaise qualité.
Zéphyr et Lemi se contentaient de suivre le mouvement, appréciant l'activité parce que cela leur permettait de discuter potins mais aussi de partager de grands moments de rires, souvent offerts par les glissades ratées du fils Saleh.
Quant à Neve, elle faisait le tour de la piste en compagnie de son frère, ricanant de manière peu discrète lorsque quelqu'un commençait à le draguer, ce qui arrivait toujours. Plus ou moins rapidement, certes, mais toujours.

Puisque l'on était mercredi après-midi, quelques enfants accompagnés de leurs parents se trouvaient ici. Mais le nombre restait assez faible, contrairement à ce qu'il se passait pendant les week-ends.
Seven n'avait pas un problème particulier avec les enfants, surtout si ces derniers se tenaient bien et ne l'embêtaient pas. Là où elle grinçait des dents, c'était lorsqu'elle ne pouvait pas avancer sur la glace sans craindre d'en percuter un ou de trancher net les doigts d'un autre.

L'artiste avança jusqu'au milieu de la piste et se lança dans une des figures les plus simples qu'elle connaissait. Mais cette simplicité paraissait déjà complexe pour les jeunes spectateurs qui laissèrent échapper quelques exclamations de stupeur.
Exclamations admiratives qui se transformèrent en rires incontrôlés lorsque Teodor arriva tête la première juste à côté de son amie. Seven n'avait pas besoin de lui demander pour savoir ce qu'il s'était passé. Il avait dû trébucher sur une chose inexistante, comme d'habitude, pour mieux finir à plat ventre sur la surface givrée.

— T'abuses, fut la seule chose qu'elle lâcha, avant de s'éloigner en glissant gracieusement.

Teodor grommela quelques mots qui furent perdus dans le brouhaha qui emplissait peu à peu l'espace. Brouhaha joyeux accompagné d'un fond musical agréable, il n'en fallait pas plus pour que Seven se sente bien, déconnectée de tous ses problèmes.
Certes, le retour des vacances et le début du semestre n'était pas le moment le plus propice à la naissance des angoisses. Ce serait quand tout s'accélèrerait et qu'il faudrait enchainer les rendus que son mental pourrait en prendre un coup. Et puis surtout, quand il faudrait s'occuper des masters et se préparer à essuyer des refus, et ainsi voir ses rêves brisés.
Non pas qu'elle doute de ses capacités. Simplement, elle n'était pas seule dans la course et ceux qui choisissaient faisaient parfois peu preuve d'impartialité.

Isaak passa à la vitesse de la lumière à côté d'elle, poursuivi par sa petite sœur. Visiblement, les enfants Saint-Yves s'étaient lancés dans leur activité préférée : la course. Seven en connaissait déjà l'issue. L'un des deux allait finir contre la balustrade, à tousser parce que le métal lui aurait coupé la respiration pendant que l'autre rirait à s'en faire mal aux joues. Sans oublier, bien sûr, de filmer toute la scène.

Seven décida de prendre le temps de jeter un coup d'œil à son ami photographe avant de reprendre ses enchaînements. Ces derniers temps, Isaak paraissait apaisé, détendu. Il y a bien longtemps qu'elle ne l'avait pas vu ainsi. Elle se demandait même si elle l'avait un jour connu comme cela.
Si elle cherchait dans sa mémoire, elle avait plutôt l'image d'un Isaak tantôt renfrogné, tantôt agacé, toujours un peu bougon, toujours prêt à râler, et bien sûr toujours paré de ses fidèles cigarettes.
Bien sûr, elle savait qu'il était capable de la plus grande gentillesse et douceur lorsque le contexte l'exigeait. Elle savait qu'il était fondamentalement quelqu'un de bien, et que son évidente confiance en lui ne signifiait nullement un égoïsme détestable.
D'ailleurs, l'enfant qu'il venait de rattraper au vol avant qu'il ne s'étale à la manière de Teodor devait bien la sentir, cette gentillesse dont il était parfois capable. Il devait aussi fortement sentir le tabac avec lequel il s'intoxiquait à longueur de journée, mais ça, c'était une autre histoire.