CHAPITRE DOUZE :

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Le mois de janvier annonçait un renouveau, un départ sans encombres et la possibilité de prendre de bonnes et nouvelles résolutions. Tout un tas d'âneries auxquelles les gens semblaient ravis de prétendre. Ce n’était que de la poudre aux yeux, mais une poudre socialement acceptable, pas comme celle que certains bourges s’envoyaient dans le nez à longueur de journée.
Luam jeta son mégot par terre et l’écrasa d’un geste vif. Il savait bien que ce genre de vie ne serait jamais la sienne, qu’il n’aurait jamais pour préoccupation première de changer ce que les gens pouvaient bien penser de lui. Pour l’heure, sa préoccupation première consistait à trouver une poubelle pour jeter ce qu’il restait de la cigarette qu’il avait empruntée à un inconnu sous l’abri bus de la gare.

Il n’aimait pas revenir à la faculté, surtout après des mois passés sans y mettre les pieds. Sa dernière visite sur ce campus, si l’on omettait la pénible période d’examens, remontait probablement au mois d’octobre. Et encore, il n’était pas sûr d’avoir mis les pieds dans un amphithéâtre ce jour-là, ou du moins pas dans l’un des siens. Il était possible que la raison de sa présence durant le mois d’octobre n’avait été que d’accompagner Cian le temps d’un café.
Il aimait bien le cursus qu’il s’était choisi, là n’était pas le sujet. Simplement, même si la faculté avait ce côté plein de vie, bourdonnant que certaines personnes avides de socialisation semblaient rechercher, Luam n’y trouvait que de l’ennui.

Les gens de manière générale n’attiraient que très peu son attention, même s’il savait que ce n’était pas réciproque. Où qu’il aille, les regards s’échouaient sur sa peau, fixant de manière appuyée les zones rougies ou violacées. La bienséance aurait voulu qu’ils détournent le regard, avec un petit sourire contrit à l’égard de l’intéressé mais Luam ne semblait pas pouvoir bénéficier des bonnes manières de ses semblables.
Peut-être était-ce à cause de sa tignasse d’un bleu azur parfait, fruit d’un labeur de longues années. Ou peut-être était-ce causé par son allure souvent débraillée et les multiples bijoux argentés plantés dans ses oreilles. Ou plus simplement, peut-être que cela venait d’un relent de racisme, dans ce pays qui clamait pourtant haut et fort de ne pas l’être tout en mélangeant adroitement les peuples asiatiques, sans chercher à s’éduquer et en se dédouanant sous un vague “mais ils se ressemblent tous”.

Aujourd’hui, pour une fois, les gens ne fixaient pas son cou ou le haut de son visage, qu’il tentait toujours de dissimuler sous ses cheveux, une casquette, un bonnet et une quantité exagérée de cols roulés. Non, ce qui attirait leur attention, c’étaient ses mains, ou plus précisément ses phalanges.
Il avait disposé des pansements sur certaines, tentant de protéger sa peau fragilisée et encore sanguinolente de la morsure impitoyable du froid. Il ne regrettait pas d’avoir mis ses mains dans cet état : s’il ne les avait pas utilisées, sa mâchoire ou son nez auraient peut-être été brisés. Ce qui était bien plus difficile à cacher, et surtout, bien plus cher à soigner. Et les coûts de soin, Luam ne pouvait pas se les payer.

Il était juste un peu déçu d’avoir autant amoché ses mains pile au moment où son dernier œil au beurre noir s’estompait tout juste. Il aurait aimé pouvoir observer son corps en bon état, rien qu’une fois, au lieu de devoir contempler une fois de plus la personne cabossée qu’il était devenu.
Certains lui jetaient des regards de pitié, d’autres paraissaient réellement interloqués et chuchotaient entre eux, comme pour s'interroger sur la provenance de telles blessures. Luam reconnut la façon de chuchoter, de marmonner et sut que cela n’abritait que des ragots et des rumeurs qu’il aurait une fois de plus sur le dos.

Mais cela lui était égal, de toute façon il savait déjà quelle rumeur on essayait de lui coller.
Une née à la suite d’un gros scandale, une qui s’était presque évaporée à la période des partiels mais que certains n’avaient de toute évidence pas envie d’enterrer. Halloween était largement passé et les coupables encore dans la nature, peut-être était il temps d’oublier ? Ah non, certainement pas pour des étudiants butés qui voulaient à tout prix découvrir la vérité au lieu d’aller réviser.
Heureusement, ils étaient en minorité.

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