Nouvelle journée, nouveau lundi.
Il était six heures moins cinq et s’il comprenait les cris étouffés qui lui parvenaient depuis le rez-de-chaussée, son père avait faim. Mais cela tombait très mal. Cela n’aurait même pas pu être pire.
Le frigo familial n’avait jamais été aussi vide. La bouteille de lait dans la portière était périmée depuis des mois et de toute façon, même si on passait outre de la date, le peu qu’il restait dans le contenant n’était pas assez pour rassasier la faim de son géniteur. Les tiroirs et autres placards n’amassaient que des miettes et de la poussière, sans la moindre trace de quelque chose qui soit mangeable. En bref, Luam avait un père à satisfaire mais rien pour le faire.— Luam ! Je ne te le dirai pas deux fois : ramène toi !
Et voilà, il était trop tard, il ne pourrait plus échapper à la condamnation.
Ou en tout cas, pas aujourd’hui.
Sûrement pas demain non plus à vrai dire.
Jamais, au final.Luam était pire qu’un Valjean condamné pour avoir volé un maigre bout de pain. On lui faisait vivre un enfer pour le simple crime d’exister, visiblement le plus odieux qu’il puisse commettre, le seul qu’il ait véritablement commis d’ailleurs.
Son propre père, celui-là même qui était responsable de sa venue dans ce bas monde, le haïssait et lui faisait douloureusement payer sa présence. Pourtant il ne l’avait toujours pas jeté dehors, ce qui aurait aisément mis fin à leur affreuse cohabitation. Il semblerait que le paternel Sato trouvait cela plus satisfaisant de lui passer ses nerfs dessus.
Et Luam n’avait nulle part où aller.Alors il se prenait ses coups en plein visage, après des années à les recevoir là où ça ne marque pas, là où personne ne le verra. Avec sa majorité, son géniteur avait gagné ce pouvoir : le cogner où il le désirait, sans craindre qu’une institutrice bienveillante ne mette son nez dans leurs affaires de famille.
Mais ce que le père Sato avait oublié c’était qu’au fil des années, le petit garçon chétif était devenu un adulte parfaitement capable de retourner les coups qu’on lui assenait.
Cette violence réciproque n’avait jamais calmé la colère de son père, bien au contraire. Cela n’engendrait que de longues luttes, sans gagnants. Le père Sato finissait bien souvent par s’écrouler contre le sol, l’alcool qui imbibait ses veines ayant raison de lui, laissant à Luam le soin de retrouver le monde qui s’empressait aussitôt de le catégoriser comme le plus mauvais des garçons.Peut-être, en effet, qu’il ne s’occupait guère de ce que l’opinion publique pouvait bien raconter sur sa personne. Mais peut-être aussi qu’il avait d’autres problématiques, bien plus dramatiques, qui le suivaient avec un acharnement des plus voraces.
Luam descendit les marches, songeant que chaque pas qu’il faisait le rapprochait un peu de la fatale échéance. Les grognements de son géniteur s’intensifiaient à mesure qu’il se rapprochait du salon où il l’attendait. L’étudiant le distingua sans peine, planté au milieu de la pièce, tenant le fer à repasser - fort heureusement débranché - à la main. Luam n’écoperait pas d’une horrible brûlure suite à l’affrontement, mais les coups bien portés de son père seraient décuplés.
L’usage d’un objet n’était pas une première, mais le fer à repasser par contre, ce n’était pas usuel.Inutile de dire bonjour, cela ne ferait qu’agacer le père Sato, qui considérait que les salutations de son fils étaient pareilles aux pires insultes.
Mais rester silencieux aurait le même effet. Quand son père avait décidé de le cogner, tous les prétextes étaient bons et rien ne pourrait l’en empêcher.Plus que quelques pas et ils seraient face à face. Plus que quelques instants pour décider de ce qu’il pouvait faire pour limiter la casse et assommer son père en s’en sortant presque indemne.
Mais ce temps, il ne put l’obtenir. La rage qui animait son paternel semblait lui conférer une force et une rapidité qui dépassait celle de Luam, malgré leur différence d’âge, de corpulence et de taux d’alcool dans le sang.
VOUS LISEZ
MENSONGES
General Fictionnom masculin : 1. Assertion sciemment contraire à la vérité. Mensonge par omission, qui consiste à taire la vérité. 2. Le mensonge, l'acte de mentir ; les fausses affirmations. 3. Ce qui est trompeur, illusoire. Le bonheur est un mensonge. ➛ ici, l...