13. Famille sans "m"

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Ivoire Heart

TW : ÉMÉTOPHOBIE (nausées)

16 octobre 2017...18h19... Salem.

Ma main plonge dans le paquet, revient près de ma bouche avec quelques chips tandis que mes papilles accueillent les fines lamelles de pommes de terre avec plaisir.

Cela doit faire dix bonnes minutes que je suis rentrée. Comme à mon habitude, lorsque je passe le pas de la porte d'entrée, je dépose mon sac aux pieds de l'escalier, me conduis jusqu'à la cuisine puis me lave les mains au-dessus de l'évier avant de lever le bras pour atteindre le rangement placé plus haut que la télévision dans le salon.

Chaque soir avant que ma mère et ma sœur ne rentrent je raconte mes soucis à cette même nourriture. Je vois cela comme un rendez-vous quotidien avec un psychologue particulier.

Un psychologue qui, je sais, ne me jugera pas.

À chacune de mes bouchées, j'oublie quelques secondes de ma journée.

Dans ces conditions, les jours où je veux oublier tous les moments passés, j'engloutis tout ce qui me passe sous la main.

Pas étonnant que ma sœur s'amuse à critiquer mon poids après tout.

Cela fait un peu plus de deux semaines que la maison baigne dans une ambiance digne de films à regarder en famille. Aucun cri ne m'épuise. Et même si Esther ne cesse toujours pas de m'offenser avec ses blessantes paroles, le calme règne.

Ça fait du bien, c'est presque reposant.

Je n'ai pas à courir partout pour être sure que chaque fenêtre est bien fermée. Je pense aux voisins, ils doivent être drôlement contents de ne pas entendre hurler à la maison.

Pourvu que ça dure...

Je pose une énième chips sur ma langue puis relève le menton, fixant le reflet que l'écran éteint de la télé me renvoie.

J'ai tout simplement l'air ridicule.

C'est triste de vouloir maigrir au point de regarder les étiquettes des emballages qui enveloppent la nourriture, mais de tout gâcher en avalant toutes ces cochonneries.

Percevant des bribes de conversation – mais surtout reconnaissant les voix de ma mère et de ma sœur – je me relève précipitamment, referme le paquet et le remet à sa place avant de passer mes mains sur mon sous pull noir pour y retirer les petites miettes incrustées qui pourraient s'apercevoir et me trahir.

Plus je m'approche de la porte d'entrée plus la conversation me semble animée, énervée.

Faites que je n'ai pas parlé trop vite tout à l'heure...

J'attrape la hanse de mon sac, et attend devant la porte jusqu'à ce qu'une main s'abatte dessus, la frappant.

-Mais pourquoi ce n'est pas ouvert ?! Ivoire est sensée être là !

Mes doigts tournent la clé restée dans la serrure et appuient sur la poignée. Esther rentre dans l'entrée ouvrant si violemment la porte que je manque de la prendre en pleine figure. N'étant pas dans le même établissement que moi –puisqu'elle a choisi une filière particulière- ma sœur se voit obligée de partir plus tôt et de rentrer plus tard.

Maman apparait devant moi l'instant d'après. Ses traits paraissent fatigués. Le jeudi est sa journée la plus longue, aucune pause ne lui est autorisée.

-Qu'est-ce qu'il se passe ? osai-je demander alors que ma mère me dit bonjour et m'intime de refermer la porte.

Ses yeux épuisés me lance un regard lourd de sens. Le genre de regard que l'on se lance quand on sait qu'Esther débute l'une de ses crises.

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