La prise de conscience

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Séléna se réveilla le lendemain avec un mélange étrange de fraîcheur et de lourdeur. Son corps, léger et reposé, contrastait brutalement avec l'oppression qui pesait sur son cœur. Les souvenirs de la veille restaient flous, décousus, comme des fragments d'un rêve brisé. Elle se souvenait d'avoir bu, énormément, bien trop, et cette seule pensée la hantait. La veille, elle s'était perdue dans l'alcool, laissant ses émotions prendre le dessus. Maintenant, les miettes de sa mémoire lui rappelaient cette vérité accablante qu'elle préférait oublier.

Le matin s'étira dans une tentative désespérée de retrouver une normalité feinte. Séléna souriait, jouait son rôle, mais en elle, la culpabilité grandissait. Avait-elle fait quelque chose d'irréparable? Avait-elle insulté quelqu'un, blessé quelqu'un? Cette incertitude la rongeait, alimentant son angoisse à chaque seconde qui passait.

Puis, un message de Gaby fit vibrer son téléphone. Gaby l'invitait à prendre un verre, et bien que Séléna acceptât avec enthousiasme, elle ne pouvait ignorer cette sensation sourde au fond d'elle. Gaby avait sûrement des choses à lui dire, des vérités qu'elle redoutait d'entendre.

Elles se retrouvèrent au bar de la place de la Nation, un lieu familier, chargé de souvenirs communs. Séléna s'installa en face de Gaby, son sourire dissimulant son malaise. Mais elle sentait la tension dans l'air, un fil invisible les reliant, tiré à son maximum. Gaby, avec une douceur qui lui était propre, aborda le sujet. Elle lui fit comprendre son inquiétude, exprimant sa peur de voir Séléna sombrer davantage dans l'alcool. Séléna savait que Gaby avait raison. Elle détestait recevoir des leçons, mais cette fois-ci, elle n'avait d'autre choix que d'écouter, consciente que les mots de Gaby étaient nécessaires.

Elles continuèrent de parler de la soirée de samedi, du cadeau que Séléna avait offert à Gaby, des détails anodins. Pourtant, une question brûlait les lèvres de Séléna : que s'était-il réellement passé? Les souvenirs flous, ces flashs d'images sans suite, la hantaient. Gaby, cependant, resta évasive, évitant les détails. Cette réticence éveilla une douleur sourde en Séléna, un regret profond de ne pas pouvoir se souvenir des mots réconfortants que Gaby avait sans doute utilisés pour la consoler. Elle en était attristée, déchirée par cette perte de moments précieux qui lui échappaient.

En se quittant, l'inquiétude de Séléna ne fit que croître. Elle avait besoin de savoir, de comprendre ce qu'elle avait dit ou fait. C'est alors qu'un message de Benjamin arriva. Cet ami, toujours franc, n'hésita pas à lui décrire ce qu'il avait vu. Sous l'effet de l'alcool, Séléna avait eu une micro-crise d'angoisse. Elle s'était effondrée, pleurant abondamment, confessant ses peurs les plus profondes à ses amis. Elle avait parlé des inquiétudes que la grand-mère de Mélanie avait fait naître en elle, de ce vide qu'elle ressentait depuis qu'elle avait quitté sa famille. Ses paroles avaient révélé une vulnérabilité qu'elle s'efforçait habituellement de cacher.

Benjamin lui rappela aussi qu'elle avait supplié Gaby de ne pas l'abandonner, une supplication désespérée qui fit battre le cœur de Séléna plus fort en lisant ces mots. Comment avait-elle pu se montrer aussi fragile? Et tout cela à cause de l'alcool. Elle avait même demandé à Benjamin de ne jamais changer, un aveu de sa propre peur de perdre les rares personnes sur qui elle comptait.

Les larmes montèrent aux yeux de Séléna. Elle se dégoûtait. Pour qui s'était-elle laissée entraîner dans cette spirale destructrice? Pour Dylan, un garçon qui ne lui avait apporté que des tourments. Il était temps de mettre fin à cette folie. Pour elle-même, mais surtout pour ses amis qui ne méritaient pas de la voir se détruire.

La décision fut radicale, mais nécessaire. De retour chez elle, Séléna se dirigea d'un pas ferme vers le frigo. Elle en sortit toutes les bouteilles, ses compagnons toxiques, les alignant avec une détermination froide sur la terrasse. Puis, elle monta à sa chambre, ouvrit un tiroir et en sortit une réplique d'arme pour l'airsoft. Séléna n'avait jamais été aussi en colère contre elle-même, contre cette faiblesse qui l'avait poussée à se réfugier dans l'alcool.

Redescendue, elle fixa les bouteilles d'un regard de défi. Elles représentaient tout ce qu'elle détestait à cet instant. Sans une once d'hésitation, elle leva le pistolet et visa. Les balles d'airsoft sifflèrent dans l'air avant de percuter les bouteilles, transperçant le verre avec une précision impitoyable. Les éclats volèrent en tous sens, chaque impact faisant éclater le liquide sur la terrasse, comme une libération de toute la colère et la frustration qu'elle portait en elle. Pas une bouteille ne fut épargnée. Le vin rosé, le blanc, tout ce qu'elle avait autrefois utilisé pour noyer ses soucis, gisait maintenant en morceaux, les liquides se mêlant dans une mare sur le sol.

Elle vida ensuite son chargeur sur les bouteilles plus fortes, celles de whisky, de Get 27, de tout ce qui lui avait donné l'illusion de soulagement. Chaque balle marquait une promesse silencieuse : elle ne replongerait pas. C'était sa manière de sceller son engagement, de marquer un tournant. Les bouteilles n'étaient plus que des débris, symboles d'un passé qu'elle était prête à laisser derrière elle.

Séléna savait que c'était le premier pas d'un long chemin vers la guérison. Le second, tout aussi crucial, serait de couper les ponts avec Dylan. Il n'avait été qu'un catalyseur de ses excès, une distraction dangereuse. Elle devait reprendre le contrôle de sa vie, pour elle-même, pour sa dignité, pour ses amis qui méritaient mieux. Séléna savait que ce ne serait pas facile, mais ce jour-là, en voyant les morceaux de verre brisés autour d'elle, elle se fit une promesse : elle ne se laisserait plus jamais détruire ainsi. Elle avait fait le premier pas, et c'était déjà une victoire en soi.

Renaître à deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant