Renaître à deux

La prise de conscience (2)

Séléna se tenait immobile, le regard fixé sur les débris de verre éparpillés à ses pieds, son pistolet d'airsoft toujours fermement agrippé dans sa main. Le poids de l'arme, bien que factice, lui donnait une étrange sensation de puissance, un sentiment de contrôle qu'elle avait perdu depuis longtemps. Un sourire amer se dessina sur son visage tandis qu'elle secouait la tête, tentant de remettre de l'ordre dans ses pensées.

Le vin tachait sa terrasse en un amas de rouge sombre, un écho visuel du chaos qui régnait en elle. Séléna soupira, un peu perdue, et par réflexe, elle s'assit lourdement pour mieux réfléchir. Aussitôt, elle se redressa en criant de douleur. « Aie, putain! » Elle venait de s'asseoir sur les éclats de verre, le liquide alcoolisé imbibant son jean. « Bordel... » Grommelant, elle se précipita vers la salle de bain, laissant derrière elle les vestiges de sa résolution fracassée.

Sous la douche, elle laissa l'eau chaude laver non seulement les éclats de verre, mais aussi une part de sa frustration. Chaque goutte qui frappait sa peau semblait emporter avec elle un peu de cette colère sourde, cette haine d'elle-même. Lorsqu'elle sortit enfin, elle se sentit légèrement mieux, même si le trouble persistait.

Elle enfila un jean simple, surmonté d'un haut en dentelle rose bonbon qui contrastait délicatement avec sa peau. Puis, elle se coiffa d'un chignon élégant. En se regardant dans le miroir, elle vit une jeune femme souriante, élégante dans sa simplicité, avec un air de confiance feint. Elle sourit un peu plus, fixant son reflet comme pour s'encourager : « C'est ça que je veux! »

Mais ce reflet n'était qu'une façade, une image qu'elle voulait croire réelle. Elle se retourna, déterminée, et attrapa quelques peluches rangées dans un coin de sa chambre. Descendant les escaliers deux par deux, elle installa soigneusement ses compagnons en peluche sur le grand canapé du salon.

« Messieurs, dames, j'ai besoin de témoins pour ce qui va suivre, » déclara-t-elle d'un ton solennel. Oui, Séléna parlait à des peluches, et à cet instant, elles étaient les seules à pouvoir l'écouter sans jugement.

Elle se mit à faire les cent pas dans le salon, faisant tourner son pistolet d'airsoft entre ses doigts comme un cow-boy du Far West. « J'aime un homme, mais... il a tout pour me briser. » Sa voix se brisa un peu sur ces mots, mais elle continua, décidée à aller au bout de sa réflexion. « Attendez ici, je reviens. »

Elle se précipita dans son bureau, attrapa sa tablette et revint en courant, manquant de peu de glisser sur le sol encore humide. Elle se rattrapa de justesse, riant nerveusement. « Ce n'est rien, messieurs, dames, juste un petit incident. » Elle connecta rapidement la tablette au projecteur et se prépara à matérialiser ses pensées sur le mur blanc du salon.

Séléna mordillait un stylo, un geste qui trahissait son anxiété grandissante. « Est-ce vraiment la bonne chose à faire? » murmura-t-elle, hésitante, avant de se convaincre. « Oui, allons-y. »

Avec une concentration renouvelée, elle traça deux colonnes sur l'écran, qui apparurent aussitôt projetées en grand sur le mur. Elle inscrivit en titre « Red Flags » d'un côté et « Green Flags » de l'autre. Sa liste commença à se remplir rapidement sous ses doigts tremblants : alcoolique, dragueur, menteur, jaloux, possessif, manipulateur, beau parleur... La colonne des Red Flags s'allongeait dangereusement.

En comparaison, la colonne des Green Flags paraissait dérisoire : bon public, beaux yeux, joli sourire, style sympa, sœur incroyable, amis formidables... Séléna regarda son œuvre avec une certaine fierté, bien que mélangée à une amère réalité.

Elle se retourna vers ses peluches, cherchant leur approbation muette. « Messieurs, dames, je crois que c'est clair... » fit-elle en grimaçant. « Je vais le voir, et je vais lui demander ce que je suis à ses yeux... Un moulin à paroles qui fait rire, ou bien... pourquoi pas... une petite amie? »

Le silence qui suivit lui pesa plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle fixa ses peluches comme si elles allaient lui répondre, mais elles restèrent inanimées, silencieuses comme toujours. « Si seulement vous pouviez parler... »

Séléna savait au fond d'elle que la décision qui s'annonçait ne dépendait pas seulement d'une liste de pour et de contre. Il y avait des sentiments, des espoirs, et ce lien inexplicable qui la poussait vers Dylan, malgré tous les signaux d'alarme. Elle se mordit la lèvre inférieure, perdue dans ses pensées.

Elle inspira profondément, rassemblant son courage. « Je vais le voir, et je vais lui demander, » murmura-t-elle à ses témoins en peluche. Peu importe ce que dirait Dylan, elle était prête à affronter la vérité. Si leur jeu devait cesser maintenant, alors soit. Elle redeviendrait celle qu'elle était avant de le rencontrer. Mais s'il choisissait de continuer, de lui ouvrir son cœur... Alors, Séléna saurait que le chemin serait semé d'embûches, mais elle était prête à le parcourir.

Avec une dernière grimace, elle éteignit le projecteur, laissant le salon retomber dans la pénombre. Elle se sentait un peu plus légère, un peu plus déterminée. Quelque chose avait changé en elle ce jour-là. Peut-être était-ce le début d'une nouvelle histoire, ou bien la fin d'un chapitre qu'elle devait tourner pour de bon. Quoi qu'il en soit, elle se promit de ne plus jamais se perdre ainsi, ni dans l'alcool, ni dans les illusions.