Chapitre 39

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Lily Moore - God Only Knows

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Les semaines s'enchaînèrent d'une lenteur agonisant. Alors que chaque jour qui passaient était tel un coup de fouet qu'il recevait en plein dos, les derniers mots de Jamie venaient le poignarder en plein coeur. À chaque secondes qui passent, ses paroles résonnaient en lui tel un écho infini ; ébranlant perpétuellement sa survie émotionnelle. Il n'y avait aucun mot pour qualifier son état actuel, ce qu'il pouvait ressentir. Pourquoi avait-elle fait ça ? Comment pouvait-elle croire une seule seconde que la distanciation serait la solution miracle à tous leurs problèmes ? Elle pensait avoir fait le bon choix. Elle pensait s'être sacrifiée alors que l'effet inverse c'était produit : en décidant ainsi de leur sort, c'est Collin qu'elle avait mis à mort.

Collin ne voulait pas de son empathie. Il voulait tout simplement sa personne. Elle et rien qu'elle. Avec ou sans cancer. Sous chimiothérapie ou non. Épave ou vivante. Il l'avait bien vu dans tous ses états. En quoi cela était-il différent de leur situation actuelle ? Ses sentiments et son amour lui pesaient-elle tel un fardeau ? Ne pouvait-elle supporter son regard attendri devant sa flagrante vulnérabilité ? Des questions sans réponses sans cesse le tourmentaient. Son mutisme inquiétait énormément Janice et ses amis. Pouvaient-ils lui apporter réconfort et soutien par des mots ? Collin aurait bien aimé. Mais écouter était la dernière des choses qu'il souhaitait faire. Il avait eu sa dose au point d'en éprouver un traumatisme. La seule hantise résidait dans un seul point : comment allait-il se recouvrir de ses blessures ? Et là encore, c'est un optimisme de grande envergure.

Il pleuvait d'aplomb tout l'après-midi. Fort heureusement, le lunch-bar n'ouvrait pas. Il avait dîner chez Janice, à la demande de cette dernière. Il aurait préféré se noyer dans sa mélancolie seul et chez lui, mais ne voulant pas porter l'inquiétude de sa sœur sur ses épaules - son chagrin lui étant suffisamment létal - il accepta sa proposition. La plupart du temps, les discussions à table étaient centrées sur un dialogue entre Janice et son mari. Lui, il restait silencieux, fixant Raphaëlle déguster ses plats et jouer avec sa nourriture. Elle avait maintenant sept ans, ce petit ange. Et aussi étonnant que cela semblait paraître, la seule compagnie que Collin était en mesure de supporter était la sienne. La naïveté d'une enfant, l'innocence de leur pensée et sa petite voix suave avait le don d'apaiser ses maux. Cette paisibilité qu'aucun adulte ne semble plus connaître, il la puisait chez elle.

Janice, elle savait qu'il était las de parler ou d'écouter les déboires des adultes. De temps en temps, elle réussissait à lui soutirer quelques sourires, mots et réactions, mais cela ne durait pas plus longtemps que l'usuelle. Elle aurait espéré voir une quelconque amélioration voilà que deux semaines s'étaient écoulées. À croire que les récentes séances de psychanalyse ne lui avaient pas été fructueux. À ce stade, il ne tiendrait pas debout plus longtemps que les laborieux sourires qu'il leur offrait. En voulait-elle à Jamie d'avoir mis son frère dans cet état ? Peut-être. Difficile de faire porter le blâme à qui que ce soit, d'ailleurs cela n'allait point améliorer l'état des choses. Elle savait aussi qu'il ne fallait pas milles solutions à ce problème. Même si pour une certaine personne, cela semblait inenvisageable.

Assis sur le parquet de la terrasse, Raphaëlle sur ses cuisses, ils s'amusèrent à admirer les étoiles et à imaginer milles et une constellation leur passant par la tête. La pluie de l'après-midi avait laissé place à un ciel parsemé d'étoile. Puis brusquement, elle changea de sujet :

- Maman dit que tu es très malheureux. C'est vrai ?

Il fronça les sourcils de stupéfaction. Il n'aurait pas penser faire l'objet d'une conversation avec sa nièce, candide comme elle était. Que devait-il répondre ? Partant du principe qu'il ne voulait pas troubler son équilibre mental actuel.

- Pourquoi ta mère dirait ça ?

- Je ne sais pas. Elle discute avec papa et elle dit souvent que tu vas mal.

- Et d'où tu entends tout ça, toi ? Ne me dis pas que tu épies tes parents, petite curieuse va, il la chatouilla comme pour gagner du temps afin de trouver les bons mots ; sachant pertinemment qu'elle n'était pas non plus obligée de connaître la vérité.

- Ils discutent souvent de ça à table. Alors c'est vrai ?

Il inspira profondément avant de répondre et invraisemblable que cela pouvait paraitre, il sentit le besoin de parler pour une fois. De laisser tomber son masque et de se libérer devant la pureté de cette enfant. Il savait qu'elle ne comprendrait rien ou du moins pas plus qu'un adulte le pourrait. Et s'il voulait s'exprimer librement, sans avoir à être répondu en retour ou à recevoir des conseils, c'était l'occasion idéale pour lui.

- Oui, c'est vrai, il répondit finalement avec un faible sourire. Je suis malheureux.

- C'est à cause de Tata Jamie ?

- C'est toujours à table que tu entends tout ça ?

- J'ai entendu maman parler au téléphone, il y a quelques jours. Je pense que c'était Tata Jamie.

Il resta muet. Pour quelle raison Janice et elle auraient conversé ? Lui-même n'avait reçu aucun appel de sa part depuis ce jour fastidieux.

- Ce n'est pas elle qui me mets dans cet état, non.

- C'est qui alors ?

- Pas qui, mais quoi et c'est juste la fatigue, mon ange.

- Si je te fais un câlin, tu te sentiras moins fatigué ?

- Je pense, oui.

Raphaëlle ne se fit pas prier et se jeta dans les bras de son oncle. Collin allait flancher à cette pure étreinte.

- Ça va mieux ? elle lui demanda.

- Beaucoup mieux même.

- Trésor, ton père t'appelle, Janice interrompit en les rejoignant

- D'accord !

Elle sauta de la cuisse de son oncle pour rejoindre son père dans le salon. Mais à mi-chemin, elle revînt vers Collin pour l'enlacer une dernière fois avant de quitter la terrasse pour de bon.
Janice lui tendit une bouteille de bière qu'il accepta volontiers et en bu une gorgée dans le silence, toujours.

- J'aurais pas pensé qu'il ferait beau ce soir, elle initia la conversation en s'installant à côté de lui.

Parlait-elle dans un sens métaphorique par rapport au temps qu'il avait fait cet après-midi ? Ou tout simplement, ne faisait-elle que commenter ce que la nature nocturne leur offrait ? Dans les deux cas, Collin ne répondit rien.

- Hey, parle-moi s'il te plaît, elle lui supplia en frôlant son épaule au sien.

- Je n'ai pas grand chose à dire, Janice.

- Dis-moi au moins comment tu t'en sors ?

- Mal. Très mal, il répondit tout en fixant la pelouse, sa bouteille de bière à la main.

- Je me demandais s'il y avait quelque chose qu'on pouvait faire pour t'aider...

- Je ne pense pas, non. Mais c'est gentille d'y avoir pensé.

- J'aurais tellement voulu faire disparaître ce regard de ton visage, t'imagines pas...

- Je sais. Mais c'est malheureusement le seul que j'ai, il lui sourit fragilement.

Elle apposa ensuite sa tête contre son épaule et ils restèrent ainsi, dans ce silence inouï toute la nuit, l'un à côté de l'autre ; dans l'espoir que ce cauchemar prenne un jour fin et que tout comme aujourd'hui, la tempête cèdera sa place à un temps plus heureux.

Elle (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant