CHAPITRE 19: HUGO

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Je traverse la cour du collège en courant. Les quelques surveillants présents me fusillent du regard tandis que je claque la porte du bâtiment et me tappe un sprint en direction du cours d'histoire.

Ce matin, mes petites sœurs avaient malencontreusement renversé leur petit-déjeuner sur leurs cartables. Il a donc fallu tout nettoyer, essuyer les pleurs et les rassurer. Leur assurer que non, "leurs maîtresses ne vont pas les gronder parce que leurs sacs sont tout cra-cra", que ce n'est rien. Et à cause de cette histoire j'ai loupé mon bus.

Je toque à la porte en prenant une grande inspiration et l'ouvre. Tout mes camarades me fixent avec curiosité tandis que je me constitue une mine désintéressée.

-《Excuse-moi de mon retard monsieur. Je peux entrer?
-Oui, bien sûr. Tiens, va t'asseoir à côté d'Anaë. Et tâche de suivre.》

Je rejoins la brune en quelques enjambées et me tourne vers elle. Elle me regarde avec inquiétude et me demande discrètement alors que je sors mes affaires:

-《Un soucis?
-Quoi? Non. Tout va bien.
-Pourquoi étais-tu en retard?
-Un soucis avec mes sœurs. Elles ont mis de la compote de partout, rien d'important.》

Je pose ma tête entre mes bras tandis que ma camarade pousse un soupir typiquement français. Elle déclare alors à mon intention:

-《Tu devrai prendre des notes. Et arrêter de mentir, ou alors apprends à le faire correctement!
-Je ne mens pas!
-Hugo, tu trembles et tu as des tics nerveux. Je ne crois pas que de la compote puisse te mettre dans cet état.
-Et bah dis donc! Tu t'es transformé en Sherlock Holmes?》

Elle lève les yeux au ciel sans pour autant lâcher l'affaire.

Parce qu'elle a raison, je pense amèrement. Et elle le sait. En temps normal, j'aurai pris cinq minutes pour rassurer mes sœurs...j'en ai mis quinze car j'avais d'autres choses en tête.

-《Je veux bien t'en parler mais à deux conditions...
-C'est une normalement!
-Je sais mais j'en demande deux. Primo, que tu me passes tes notes d'histoire. Et deuxio... que tu m'apprennes à mentir.》

Je l'observe en attente d'une réponse. Elle se reconcentre sur les paroles de notre professeur pendant plusieurs minutes en entortillant une mèche de cheveux autour de son index. Elle se mord les lèvres d'un air hésitant avant de chuchoter:

-《Si ça peut te faire plaisir...
-Je croyais que ça allait te faire plaisir à toi. Tu as dit qu'il fallait que j'apprenne-
-Ce n'est pas ce que j'ai dit, mon cher. Je t'ai conseillé de soit arrêter de mentir, soit apprendre à le faire. Je t'ai laissé le choix!》

Je fronce les sourcils en essayant de comprendre le sens des paroles d'Anaë, en vain. Cette dernière donne une légère tappe sur sa page en maugréant:

-《Cette discussion est lunaire.
-Non, elle m'a juste perdue. Et c'est toi qui la rend lunaire; c'est censé être un compromis!
-Je déteste les compromis.
-Peut-être...mais sans ça tu ne sauras jamais ce qui m'arrive!》

Je déteste jouer la carte du chantage mais le comportement de ma camarade m'intrigue. Je me demande bien ce qu'elle peut cacher...

-《Si c'est comme ça, très bien! Je vais t'apprendre à mentir même si je ne crois pas que ce soit une bonne idée! De toute manière je n'ai pas le choix!》


-《Alors, ces séances de mensonges et manipulations, tu veux qu'on les fasse quand?
-HUGO!!! crie Anaë. Tu m'as fait peur!
-Pardon.》

Elle souffle et porte son sac sur ses deux épaules. C'est la fin de la journée, j'attends patiemment mon bus devant le portail tout en scrutant la grande brune.

-《Pas maintenant en tout cas. J'ai des devoirs, l'anniversaire de ma sœur et il y a le spectacle à préparer. Les sélections sont dans une semaine je te rappelle.
-Alors la semaine suivante?

-Je ne sais pas...il y a un match et-
-OK, je la coupe. Et si on disait début mars? (elle lève les yeux au ciel) Quoi? Quelle excuse vas-tu trouver cette fois?
-Rien c'est juste...non, laisse tomber.
-Très bien alors on dit début mars. On verra la date plus tard.
-Si tu veux.》

Anaë glisse ses écouteurs dans ses oreilles et rejoint la rue adjacente sans un mot de plus. Elle m'adresse un signe de la main avant de disparaître.

Je me laisse glisser contre la grille et m'installe en tailleur sur le béton. Le vent est frais mais léger, ce qui signifie que la chaleur ne va pas tarder. Eh oui, ici l'hiver ne dure pas longtemps! En vérité, je n'ai jamais vu la neige de toute ma vie à part à la télévision.

Je ferme les yeux et me laisse aller pour la première fois de la journée. Mes mains se crispent et je croise les bras autour mon buste comme le ferait un enfant de six ans. Une vieille manie que j'ai toujours eu. Car, lorsque j'étais petit, je n'avais rien d'autre pour me consoler. Ma mère travaillait le plus possible, mon frère allait à l'école et mon père...mon père était à l'armée comme toujours.

Mes yeux me brûlent et je bats des cils pour ne pas pleurer. Je déteste pleurer. En fait non, je ne déteste pas pleurer: je n'ai pas le droit de pleurer. Nuance. Je dois me montrer courageux pour mes sœurs, mon frère et tout ces gens qui ont besoin de moi.

Sauf que je n'y arrive plus. J'attends désespérément depuis que je suis gosse d'avoir MON moment, MA gloire, MON monde. Et voilà que tout s'écroule encore une fois. Déjà que mes chances étaient minces...

Il a fallu qu'il soit promu! Maintenant, bye bye son rôle de père. Il va rentrer dans bien plus longtemps alors que je n'attendais qu'une seule chose: de le revoir. Dix mois. Il ne sera là ni pour l'anniversaire de Vera ni pour celui de ma mère ni pour le mien. Il ne sera pas là pour ma rentrée en troisième et pour celle, encore plus importante, de Michael qui passe son baccalauréat l'année prochaine.

Et Michael! Oh! Parfois j'ai l'impression qu'il se fout vraiment de moi! Il m'avait dit qu'il comptait arrêter. Il ne l'a pas fait. Il est empêtré dans de ces affaires à seulement seize ans! "Mais tout va bien, Hugo. Je te jure. Ne t'inquiètes pas." Oh! Ça m'énerve. Ça m'énerve qu'il ne sache pas réfléchir deux secondes!

Une larme solitaire roule sur ma joue et la ressuie rageusement. Anaë a raison: il faut que j'apprenne à mentir convenablement. Sinon maman va se faire du soucis et elle commencera à se douter de quelque chose.

Finalement, H.A.P.P.Y. s'avère bien plus bénéfique que ce que j'espérais.




H.A.P.P.Y.: THE DESTINY OF USOù les histoires vivent. Découvrez maintenant