Chapitre 16

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Les semaines passaient dans la ville d'Alascar. Un vent chaud s'engouffrait dans les rues bondées. On y trouvait des anges, couchés à même le sol, dormant sur les dalles fraîches. Les ailes des plus grands servaient de couvertures aux enfants. Quelques semaines auparavant, ils faisaient la queue au milieu de la place pour recevoir leur nourriture. Un groupe d'humains passait dans les rues.

Une fille aux cheveux dorés s'avança en première dans une petite ruelle sale. Une famille d'anges amaigris grignotait un rat mort.
Les enfants se cachaient sous les ailes de leur mère. La fille s'agenouilla et leur tendit une bouteille d'eau et un bol de riz.

- Ce n'est que du riz.

Le père porta à sa bouche le riz blanc avant d'en offrir à ses enfants puis à sa femme.

- Si vous êtes toujours là demain,j'apporterai du pain et de la purée.

Les amis de la fille parcouraient la ville et distribuaient des vivres aux anges. Tous les jours, ils se réunissaient dans ce but. Et tout les jours, ils ramassaient les corps des anges qui n'avaient pas survécu à la nuit.

- Est-il avec vous ? demanda la femme ange.

Un homme s'approcha dans la ruelle, il faisait claquer ses talons cirés et racler sa gorge.
La jeune fille n'eut pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s'agissait. Elle poussa les enfants dans le dos de leur mère.

- Non, répondit-elle.
- C'est quoi déjà ton nom ? demanda l'homme. Amé-quelque-chose ? Enfin, ça n'a aucune importance.

La fille se leva et s'avança de quelques pas.

- Qu'est-ce que tu veux ?
- Reprend ton riz et ton eau, n'use pas ton argent pour nourrir ces animaux.

La fille grogna et s'avança encore jusqu'à arriver à la hauteur de l'homme.

-Toi et ta bande de dégénérés, vous feriez mieux de rentrer chez vous, continua-t-il.
- Ce ne sont pas des animaux. Si tu ne veux pas ou que tu ne peux pas les aider, alors laisse nous le faire.

L'homme fixa la famille d'anges de ses yeux sombres. Il attrapa le bras de la fille et la plaqua sur le mur de pierre. Ses ongles s'enfonçaient dans sa peau et elle lâcha un cri de douleur qui alerta ses camarades. Des larmes coulaient de ses yeux sans qu'elle ne le veuille. Ce n'était pas la douleur qui la faisait pleurer, elle ne savait pas vraiment pourquoi.

- Laisse-moi tranquille.
- Pas de soucis ma belle, seulement si tu me promets que, à partir d'aujourd'hui, tu te mêleras de tes affaires.

Il y avait maintenant beaucoup plus de monde dans la petite ruelle. Les amis de la fille les avaient rejoints, mais aussi un groupe d'humains qui était avec l'homme.

-Arrêtez, cria un jeune garçon qui tenait un sac de bouteilles d'eau.
-Ça vous a pas suffit la manifestation ? cria un autre.
- Vous vous en prenez aux humains maintenant ? souffla la fille. C'est pas glorieux pour ceux qui se prénomment « ligue de défense des humains ».

L'homme laissa sa prise et observa sa montre quelques instants.
Il chercha un coin de lumière où se placer puis demanda à tout le monde :

- Savez-vous quel jour nous sommes ? Et bien nous sommes la veille de la date butoir. Demain, un mois ce sera écoulé depuis l'arrivée des anges. Demain, ils devront tous partir. Gavez-les autant que vous voulez, nous passerons à minuit et ferons partir tous les réticents qui squattent nos rues.

Il attrapa le sac du jeune garçon et marcha jusqu'à la famille d'anges qui observaient tout depuis le début.
Il prit une bouteille et l'ouvrit.

-Tu as soif, demanda-t-il au mari. Tiens.

Il versa lentement le contenu de la bouteille sur les cheveux bruns de l'ange. Il l'écrasa et la jetta au sol. Son ombre noir s'étirait jusqu'aux pieds de la jeune fille. Elle grandissait sur elle à mesure qu'il traversait la ruelle jusqu'à l'ensevelir complètement quand il passa à côté d'elle. 

***

La salle du conseil était d'un calme morbide. Personne n'osait parler.
Le roi et la reine se tenaient à droite de la présidente, qui n'avait toujours pas découvert sa bouche de son voile bleu.
Elle se leva de sa grande chaise et déclara :

-Le conseil peut commencer.

L'homme à la montre ajouta à sa suite en regardant l'heure :

-Le conseil commence en cette heure. 
-Bien, vous pouvez vous asseoir, Edward, continua la présidente avant d'ôter son voile. Je laisse la parole à notre reine.
-Merci, madame. Je pense que vous savez tous pourquoi je vous ai demandé de vous réunir. Depuis plusieurs jours, des anges meurent dans les rues. Il y a trois jours de cela, des manifestations ont eu lieu. On déplore plus d'une vingtaine de morts parmi les anges lors de celle-ci. Si nous ne faisons rien, je crains une guerre civile.

Après un silence, elle leur donna la parole.
Tout le monde se mit à parler en même temps.

-Ils doivent partir ! Cria quelqu'un.
-Et où iront-ils ? Demanda un autre.
- Ils n'ont rien à faire ici.
- Qui propage la violence, à votre avis ?

Le brouhaha augmentait de volume de minutes en minutes. Les mains claquaient sur l'immense table, les pieds frappaient dans les chaises, les sourcils aspiraient les visages de Scibs créant des grimaces ignobles pleines de colère.

-Taisez-vous ! cria le roi.

Sa voix grave et son accent imposaient une certaine autorité.

-Mon peuple n'a rien à faire sur Alascar ...
-Non !
- Si, Léanore. Nous sommes des intrus. Je vous avais promis de ne rester qu'un mois. Demain soir, nous ne pourrons pas partir, je n'aurais pas tenu ma parole.
-Alors vous devrez partir, déclara le préfet. Nous vous avons laissé trente jours pour trouver une solution.
-Ha, oui, et trente jours de quoi ? demanda une femme maigre assise en face de lui. Un mois entier de souffrance et de famine. Un mois où ils ont vu leurs enfants mourir dans les rues.
- Notre peuple souffre aussi depuis qu'ils sont là, continua une autre dame. Les vivres sont diminués, les maisons bondées, les postes de travail introuvables.

Dehors le ciel était gris, trop gris pour un mois de mai. Un couple d'oiseaux tournait autour de la salle du conseil.

-Notre peuple a agi de façon horrible avec les anges, déclara la reine. Vous avez le droit de penser ce que vous voulez mais, ce qui est arrivé lors de cette manifestation, ce n'est pas humain.

Elle marqua une pause, comme pour penser à tous ces anges morts, assassinés par les humains.

-Nous renforcerons la sécurité. Aucun ange ne doit mourir de la main de l'homme. L'organisation qui se fait appeler la « ligue de défense des humains » sera dissoute et plus aucune manifestation ne sera autorisée. Une objection ?

Le préfet frappa du poing sur la table. Sa mâchoire était tellement serrée que ses dents craquaient sous la pression. Il arracha ses grosses lunettes oranges et les pointa en direction du roi.

-N'en profitez pas. Si notre peuple en souffre, je vous promet de vous tuer de mes propres mains.
-Le conseil peut disposer, annonça la présidente.

Il ne restait plus que le roi et la reine dans la pièce.

- Je savais que ça se passerait comme ça, déclara Léanore. Mon peuple est devenu violent. Je ne sais pas d'où lui vient toute cette rage.
-C'est un gros changement pour les hommes.

Il prit ses mains dans les siennes. 

-Je vous promet de faire tout mon possible pour trouver un moyen de partir d'ici.
- Et moi, de protéger votre peuple d'ici là. J'ai déjà mis mes meilleures hommes sur votre cas. Dans quelques jours, ils trouveront un endroit où vous pourrez aller, je le sens.

Le roi prit la reine Léanore dans ses bras. Il restèrent ainsi de longues minutes.

La guerre des rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant