Elle se réveille en sursaut, ouvre la bouche pour s'abreuver d'air comme l'aurait fait un nageur resté trop longtemps en apnée. Pour elle, cependant, cette bouffée d'oxygène n'a rien de salvateur. Rien de rassurant ni d'apaisant. Dès lors qu'elle ouvre les yeux, seule l'angoisse l'envahit, lui vrille le cœur, la traverse de part en part, assaille ses entrailles sans répit. Elle n'est plus que ça, là et maintenant : de l'angoisse.
Elle est assise, la poitrine haletant sous son tee-shirt, ses mains agrippées à l'herbe mouillée. Elle regarde partout autour d'elle, frissonne.
Elle se trouve dans un champ s'étendant à perte de vue, adossée au pied d'un arbre au tronc épais et noueux, le seul dans cette immensité de verdure. Le ciel est gris, bas, torturé par un vent de tempête. Il n'y a pas de poteaux électriques, pas d'habitation, aucun signe de civilisation.
Elle ne sait pas qui elle est.
Elle ne connaît pas cet endroit. Elle n'y est jamais venue, ça, elle serait prête à le parier. Elle le sent.
Bien sûr, son premier réflexe est de tenter de se rappeler comment elle est arrivée ici. Elle s'exhorte à faire un effort quand bien même son nouvel environnement perturbe sa concentration. Depuis combien de temps est-elle là ?
Elle se relève, fébrile sur ses jambes. Il lui faut agir. Elle sait que c'est une nécessité pour elle d'être sans cesse en action, de ne jamais subir les événements. Une fois debout, elle prend son poignet droit dans sa main. Il lui manque quelque chose. Quelque chose d'important.
Elle a envie de hurler, d'appeler à l'aide. Mais à quoi bon ? Où qu'elle tourne la tête, la désolation s'offre à elle.
Elle fait le tour de l'arbre. Ses mains deviennent l'expression de son désarroi, de sa panique. A tour de rôle, elles tirent la frange de ses cheveux en arrière ou se plaquent contre sa bouche, étouffant les petits gémissements ou les souffles apeurés qu'elle laisse échapper malgré elle.
Elle tourne, tourne et tourne encore, jusqu'au vertige.
Je suis... Je suis... Je suis... ça va ma revenir, je le sais, je le sens. J'ai vu des choses bien plus étranges encore, non ?
Ce n'est pas la première fois qu'elle doit faire face à une situation apparemment inextricable, elle le sait. Cette simple pensée la rassure. Elle s'immobilise alors, donne un rythme régulier à sa respiration. Inspiration... expiration... inspiration. Une phrase remonte à sa mémoire. Souffle coupé, t'es cramée, souffle régulier, tu perds pas pied. Elle ignore qui disait cela mais elle est certaine de l'avoir entendu ou de l'avoir elle-même prononcé bien des fois, comme un mantra.
A présent, elle observe l'arbre, l'étudie avant de céder à une impulsion. Elle grimpe dessus. Il lui faut aller aussi haut que le méandre des branches le lui permettra. Elle n'a pas le choix. Elle ne peut se permettre de rester ici et d'attendre. Attendre quoi, d'abord ? Que quelqu'un vienne à son secours ? Non. Elle doit partir d'ici, bouger, explorer et trouver de l'aide. Qui sait quelle température il fera quand la nuit va tomber. Non. Elle ne peut pas se permettre d'attendre. Alors elle grimpe le long de l'arbre dans l'espoir d'apercevoir un village, une route, une ville ou quoi que ce soit à même de la rassurer. Ensuite, elle avisera.
Parvenue à environ cinq mètres au dessus du sol, les branches, plus ramassées, la gênent. Lui fouettent le visage, la griffent. Bientôt, elle ne pourra plus avancer.
Une fois parvenue aussi haut qu'elle pouvait l'espérer, elle se penche en avant et sort sa tête des frondaisons. Son équilibre est instable. Elle ne pourra pas rester longtemps dans cette position. Ses muscles commencent déjà à trembler sous l'effort. Elle balaye l'horizon de droite à gauche. Renifle. Elle ne voit rien. Rien d'autre que l'herbe, l'herbe à perte de vue.
Elle pousse un râle de désespoir en retournant sous l'abri de l'arbre, s'assoit sur une branche pour se reposer et réfléchir. Elle ne veut pas croire qu'elle a atterri dans un monde totalement désolé. Il doit y avoir une explication à sa présence ici. Une explication et une raison aussi. Donc un but.
Elle est là à cause de quelqu'un.
Il s'agit une nouvelle fois d'une certitude qu'il ne lui viendrait même pas à l'idée de remettre en cause. C'est comme un nom qu'on a sur le bout de la langue, comme un rêve qu'on s'est obligé de retenir et dont on ne se souvient plus au réveil. C'est là comme une ombre qui plane au dessus de la tête : elle est là mais on n'ose pas l'affronter du regard de crainte de succomber sous le poids de sa charge.
C'est ça, se dit-elle. Mon esprit a déconnecté les fils de ma mémoire dans le seul but de me préserver. Il a fait en sorte que j'oublie les événements qui m'ont conduits ici.
Elle ne voit pas d'autre possibilité. Sinon comment expliquer cette assurance, cette force dont elle sent la charge ruer dans ses veines malgré l'angoisse de l'inconnu ?
La mémoire lui reviendra progressivement.
Habitée par cette conviction, elle redescend de l'arbre. Une fois à terre, elle s'ébroue les cheveux dans lesquels se sont déposés des brindilles d'herbes et des copeaux de bois. Elle se frotte aussi le visage, ses bras dénudés, son jean. Puis, sans même jeter un regard en arrière, elle se met en marche.
Elle prend la direction du nord, étrangement confiante, sans se douter un seul instant de ce qui l'attend.

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La Brèche
Science FictionIls avaient ouvert la brèche. Ils croyaient l'avoir refermée. Leur passé les rattrape. Quand toutes vos certitudes s'envolent, quand le monde qui vous entoure n'est plus tout à fait le même, restez sur vos gardes. Le pire est à venir.