Son premier regard fut pour le corps étendu sur la table métallique. Un corps qui n'avait d'humain que sa silhouette. Du seuil de la porte, il ne pouvait pas encore voir le crâne, lequel était caché par le ventre proéminent du cadavre. Mais ce qu'il avait sous les yeux était suffisamment éloquent pour qu'il prenne l'entière mesure de l'étrangeté de la situation.
En surface, il ne restait qu'un amas de chair boursouflée, cloquée, sèche comme un rondin de bois. S'il n'avait pas été aussi volumineux, Jovic aurait pu croire qu'il s'agissait d'une momie. La peau montrait des signes évidents de desquamation, des lambeaux séchés rebiquaient sur toute sa surface. Jovic aurait pu les casser d'une simple pression du doigt.
Autre élément troublant, et pas des moindres, le corps ne dégageait aucune odeur. Pour avoir pratiqué les lieux en plusieurs occasions, Jovic savait que tous les produits destinés à camoufler les relents de la mort n'y parvenaient jamais totalement. Ils ne faisaient qu'en atténuer la portée. Là, c'était différent. Dans l'air de cette minuscule pièce carrelée d'un beige crasseux, ne planaient que les effluves de désinfectant et de métal froid.
Les rouages internes de Jovic s'étaient lancés dans une cadence infernale pour tenter de percer ce qui se jouait ici. Sans succès. Il fallut l'intervention d'un des types de la Sécurité Intérieure pour le tirer de sa léthargie.
— Vous devez être l'inspecteur de la Criminelle. Jacques Stravor de la Sécurité Intérieure. Et voici, Stéphane Doizy, mon équipier. Quant au médecin légiste, j'imagine que vous le connaissez déjà...
— Docteur Martel. Oui, je le connais...
Machinalement, Jovic tourna la tête vers le médecin en train de se laver les mains au dessus de l'évier. Ils échangèrent un signe de la tête. En effet, ils se connaissaient. C'était Martel qui avait effectué les autopsies des victimes, toutes deux énucléées, de l'affaire Jahan. Une bonne manière de lui rappeler l'étendue de son échec.
Jovic réitéra son salut aux deux hommes de la Sécurité Intérieure. Dans ce genre de situation, les présentations et autres formules de politesse avaient le mérite de la sobriété. Stravor et Doizy avaient à peu près son âge, avoisinaient le mètre 80 et cachaient leur musculature sous des vêtements amples. Ils affichaient des traits tirés, comme s'ils avaient pris une cuite la veille au soir. Ce n'était pas le cas, Jovic le savait. L'unique raison de leur fatigue se trouvait allongée là, sur la table de l'institut médico-légal. Et si on avait fait appel à lui en renfort, c'est que l'affaire puait sacrément.
— De quoi s'agit-il ? Interrogea aussitôt Jovic en s'approchant du cadavre comme pour démontrer qu'il était l'homme de la situation.
Stravor, Doizy et Martel jouèrent à la patate chaude en se jaugeant du regard. Visiblement, ce n'était pas simple.
— Je vous laisse faire les gars, se rétracta Martel. Je ne suis là que pour apporter mes lumières sur l'aspect médical, pour le reste...
— Hum... Bon, se lança Doizy. On va pas te le cacher, ce qui vient de nous tomber sur le coin de la gueule est... incompréhensible. J'ai hésité avec impossible mais comme ce type est bel et bien là... bref, on a retrouvé le corps il y a deux jours dans un hôtel miteux du centre de Paris. Ce type a été irradié à très très fortes doses...
Le cœur de Jovic eut un raté. Ses jambes émirent des signes de fléchissement.
— Quoi ? Putain les gars, vous vous rendez compte de ce que vous dites, là ? Pourquoi est-ce qu'il n'a pas été placé en zone de confinement ? On ne devrait pas porter une combinaison ? Si je n'ai pas oublié mes cours de physique, il me semble que le corps continue à émettre des radiations pendant un paquet d'années s'il a été irradié avec l'intensité que vous laissez entendre, non ?
Martel esquissa un léger sourire.
— Si je peux me permettre, Alex, vous n'avez pas oublié vos cours, vous ne les avez tout simplement pas écoutés. Un corps irradié subit les conséquences de la radiation, lesquelles dépendent de la force d'exposition. Mais il n'irradie pas.
Jovic porta son regard sur le cadavre, en proie au doute malgré tout.
Il n'y avait aucune trace de pilosité sur le crâne. Les lèvres s'étaient dissoutes et laissaient apercevoir une dentition chaotique. Les joues étaient trouées à l'image de semelles de cuir usées. Les yeux se réduisaient à deux spirales lui faisant penser aux sas des vaisseaux spatiaux dans les films de science-fiction qu'il regardait dans sa jeunesse. Ou à un trou de balle de chat. Quant à la peau, elle présentait la même desquamation que sur le reste du corps.
— Bon. Très bien. Où est le problème alors ? Qu'est-ce qu'il y a d'impossible ?
— Oh c'est assez simple, tu vas voir. Simple et foutrement... Bref, l'agent d'accueil de l'hôtel affirme avoir remis les clés de sa chambre à notre homme... la veille de la découverte de son corps. Il y a trois jours.
— Et si c'est le cas, ce dont nous ne doutons pas, termina Stravor, le gars ne devrait pas être dans un tel état. S'il a vraiment été irradié avec l'intensité que l'on soupçonne, il ne devrait pas être aussi... aussi sec. Sans compter que l'on est en droit de se demander comment tout ceci a pu se produire en sachant 1) qu'il n'a reçu aucune visiste, 2) qu'il n'a pas bougé de sa chambre et 3), tiens toi bien, qu'il n'y a aucune trace de radiation dans la pièce...
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La Brèche
Science FictionIls avaient ouvert la brèche. Ils croyaient l'avoir refermée. Leur passé les rattrape. Quand toutes vos certitudes s'envolent, quand le monde qui vous entoure n'est plus tout à fait le même, restez sur vos gardes. Le pire est à venir.