— Ok, Daph. Je vois. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, hein ? Question d'habitude, tu me diras. A tout hasard, est-ce que tu peux balancer la photo de la PInum dans la base et voir si quelque chose en ressort ?
— J'allais te le proposer, mon chou.
Appelle-moi encore mon chou et tu peux être sûre d'avoir une surprise bien dégueulasse dans ton casier la prochaine fois.
C'était quitte ou double. Par définition les types ayant recours à des faussaires n'étaient pas tout blancs. Dans plus de quatre-vingt-dix pour cent des cas, ils étaient déjà fichés, heureux détenteurs de casiers plus ou moins gros. Jovic en savait quelque chose. Il avait lui-même rempli les tableaux statistiques pas plus tard que le mois dernier. Parmi ceux qui se faisaient délivrer de fausses PInum, on pouvait toujours compter sur des richards voulant tout plaquer du jour au lendemain, mais ceux-là devenaient de plus en plus rares. Et vu l'état dans lequel on avait retrouvé le macchab, Jovic voulait croire que le gars appartenait à la première catégorie. Dans le cas contraire, c'était l'impasse assurée. A moins que la Providence s'en mêle.
Jovic n'y croyait pas trop. Cette affaire puait à plein nez. A tout bien considérer, une petite enquête rondement menée aurait été idéale pour reprendre pied. Son goût pour les défis il aurait pu l'assouvir plus tard. Et briller bien sûr, car rien ne satisfaisait plus Jovic que de se mesurer à la difficulté pour ensuite pavaner, y aller de ses discours hâbleurs, inverser les rapports de force, et peu importe si cela impliquait d'en écraser certains au passage.
Il n'en était pas là. Pour le moment, il fallait parer au plus pressé.
— Ah Daph, envoie aussi la PInum au tech' qu'ils essaient de voir s'ils peuvent remonter la trace d'un faussaire à qui on aurait déjà eu affaire.
— Pas de souci, je m'en occupe. Je te rappelle plus tard pour la photo mon chou.
Dommage pour ton casier, Daph.
La cage d'escalier aurait mérité un petit rafraîchissement. La tapisserie maussade, sinistrée par les écoulements d'eau et la moisissure, pendait par lambeaux. La rampe de l'escalier branlait et ne tarderait pas à rester dans les mains du premier venu qui s'y appuierait pour pisser au détour d'un palier. L'odeur prégnante qui accompagna l'ascension de Jovic laissait à penser que c'était en tout cas une pratique courante.
L'hôtel était dans un état si pitoyable qu'on était en droit de se demander comment le réseau électronique d'ouverture des portes fonctionnait encore. En tout cas, se dit Jovic en composant le code de la chambre du macchab, ce taudis était l'endroit idéal pour quiconque voulait passer inaperçu. Enfin... Le mec avait bien réussi à se faire cramer, non ? Qu'est-ce qu'il avait bien pu faire pour mériter un tel sort ?
Pas sûr que tu le saches un jour, mon loulou, autant te faire une raison tout de suite.
L'inspection de la chambre semblait ne pas devoir lui apporter plus de réponse. Son état était semblable à l'image que l'hôtel renvoyait dans son ensemble, arracha une grimace de dégoût à Jovic dont la respiration marqua un court arrêt. La lucarne ouverte sur l'extérieur n'était pas en mesure d'évacuer les remugles de crasse et de Dieu savait quoi d'autre.
Les moutons de poussière au sol eurent des airs de mer rouge sur le passage de l'inspecteur. Difficile de croire qu'une équipe était venue récupérer un corps dans cette pièce...
En premier lieu, Jovic ouvrit le placard qui faisait face au lit. Les étagères tenaient par l'opération du Saint-Esprit. Le bois était cloqué et s'avérait aussi mou qu'un biscuit trempé. L'écoulement provenant de la chambre du dessus n'y était pas étranger. Jovic passa ses mains sur chacune des planches sans trop appuyer. Ne trouvant rien, il s'assura ensuite de la solidité de la seule chaise présente dans la chambre, monta dessus et vérifia qu'aucun objet n'avait été caché au-dessus du placard. Il se doutait bien que les gars passés avant lui avaient déjà procédé aux vérifications d'usage mais Jovic savait aussi combien la démotivation gagnait les rangs des agents, regardants sur les origines et le statut social d'un mort. Pas sûr qu'un macchab retrouvé au TaudisHôtel® ait eu droit à tous les égards de circonstance.
Jovic reporta ensuite son attention sur le lit défait. Les draps étaient enroulés. Surmontant son aversion, l'inspecteur les prit dans ses mains et les porta machinalement à ses narines. Il traquait l'odeur de cette mort qui lui avait fait défaut à l'institut médico-légal. Rien sinon les relents d'hôtes successifs pour qui l'hygiène n'était plus qu'un concept perdu dans les limbes du désespoir.
A l'inverse, Jovic retint sa respiration avant de se baisser et de regarder sous le lit. En guise de sol, un ciel gris de poussière. Et les lattes étaient vierges de tout objet ou document dissimulés.
Pour finir, il fit un tour dans la salle de bain. Comme il s'y attendait, il eut de la peine à deviner un éclat de faïence sous les couches de graisse accumulées par les refoulements successifs des canalisations. Ici, la nature de la poussière était différente. Elle s'agrémentait d'amalgames de cheveux et de poils en tous genres. Mais à part ça, rien à se mettre sous la dent. Pas vraiment une surprise.
Son téléphone sonna alors qu'il venait d'entrer dans sa voiture.
— Alex ? C'est Pat.
Malgré le peu de mots prononcés, Jovic analysa le timbre de la voix de l'agent de la Tech', cherchant à déceler la teneur de la conversation à venir.
— Salut. Un souci avec la PInum ?
— Non pourquoi ? Ça t'étonne qu'on ait déjà les résultats ?
— Déjà ?
— Ouais, ne dis rien. Je sais pas ce que vous vous imaginez vous autres, mais vous avez la crème de la crème à la Tech' ! Serait temps de vous en rendre compte.
Jovic n'en doutait pas un seul instant. Les gars qui bossaient dans cette cellule étaient les seuls à ne pas s'être retrouvés gangrenés par l'ambiance pourrie et subversive régnant à la Crim. Aucun coup bas, aucune corruption ou lutte de pouvoir ne venait en altérer la bonne marche. Au moins chaque inspecteur savait qu'il pouvait compter sur la Tech' et s'assurer de bons résultats lorsque les circonstances le permettaient. Nul n'avait en tout cas intérêt à remettre sa légitimité en cause.
— Oh ça va, je te caresserai dans le sens du poil une autre fois. J'ai pas trop le temps là.
— Ok. Mais ce que je vais te dire risque de ne pas te faire sauter au plafond. Pire, ça risque de ne pas te plaire du tout.
— Accouche, tu veux.
— Bon, je vois. Alors je te fais pas le laïus sur le manque de fiabilité des PInum malgré toutes les...
— Précautions d'usage. Je sais tout ça et tu sais que je sais alors ne joue pas avec moi s'il te plaît. Balance !
— Ouais. Alors, ça n'a pas été bien difficile de remonter à l'origine de la PInum. Il s'agit bien d'une fausse émanant d'un type connu de nos services. Et c'est là où c'est très étrange, Alex.
— Pourquoi ?
— Le mec, Maxime Terral, c'est son nom, est de mèche avec la sécurité intérieure. Ce qui veut dire...
...Qu'ils m'ont pris pour un con de première.
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La Brèche
Science FictionIls avaient ouvert la brèche. Ils croyaient l'avoir refermée. Leur passé les rattrape. Quand toutes vos certitudes s'envolent, quand le monde qui vous entoure n'est plus tout à fait le même, restez sur vos gardes. Le pire est à venir.