Assigné à son bureau, des montagnes de dossiers à traiter.
Alexandre Jovic s'était planté, on le lui faisait payer.
Depuis le fiasco de l'affaire Jahan, il n'était plus en odeur de sainteté. On l'avait obligé à troquer son arme de service contre la plus rudimentaire des souris, laquelle lui servait à cliquer sur des dépositions vouées à croupir dans des dossiers binaires que personne n'ouvrirait jamais, ou alors si peu. C'était le prix de la bonne conscience collective, de l'illusion de masse.
On l'avait isolé. A raison de trois fois par heure la porte de Jovic s'ouvrait pourtant sur un de ses confrères lui demandant s'il avait bien traité tel ou tel dossier qui ne leur était pas remonté, ou s'il pouvait mettre le turbo sur certains d'entre eux. On s'adressait à lui sans aucune forme de considération, comme on s'essuie les pieds sur un paillasson.
Jovic ne se serait jamais imaginé que ça lui arriverait, à lui... Oh, il en avait vu des gars tomber, ployer sous la pression, se retrouver dans sa position actuelle et puis craquer, supplier, menacer pour finalement disparaître du jour au lendemain ou se tirer une balle dans les chiottes du service.
Les mecs qui en étaient rendus à une telle extrémité n'avaient pas leur place dans la police. En laissant retomber leur vigilance, en perdant toute prudence, ils avaient grillé leur seule chance de prétendre à l'excellence sociale.
Alors que lui, lui, qu'avait-il fait au juste ? Son boulot, rien que son putain de boulot. Et le pire, dans cette affaire, c'est qu'il n'avait à aucun moment douté du bien fondé de ses conclusions. La culpabilité de ce bâtard de rêveur qui revendait ses songes aux plus offrants ne faisait aucun doute. Jovic possédait toutes les preuves qu'un flic pouvait espérer dans une telle affaire. Même l'hypothèse selon laquelle Jahan aurait pu être la victime d'une quelconque machination visant à l'inculper n'avait pas tenu la route. Les faits, les actes parlaient d'eux-mêmes, et rien ni personne n'aurait dû pouvoir revenir là-dessus. Le sort en avait décidé autrement et lui, Alexandre Jovic, n'avait pas eu d'autre choix que d'en assumer les conséquences. Les retombées médiatiques avaient porté un lourd préjudice à la crédibilité du service.
Quel gâchis ! Je serais bien mieux à ma pl...
— Alex ?
Jovic leva les yeux, comme surpris d'entendre une autre voix que la sienne résonner dans l'antre qu'était devenu son bureau. Pagès se tenait là, la main sur la poignée, la porte entrebâillée, comme réticent à pénétrer dans la pièce. Pagès, malgré ses presque cent kilos et son allure plus que dissuasive auprès des petites frappes, était connu pour être l'inspecteur le moins téméraire du service. Toujours prêt à donner des conseils, jamais disposé à les mettre en pratique sur le terrain. Il avait pour lui le mérite de ne pas s'en cacher. Quand ça risquait de chauffer pour de bon, il prenait dans son équipe quelques bleus sélectionnés sur le tas.
Selon Jovic, ça faisait bien deux mois que Pagès ne lui avait pas adressé la parole. Et encore, la dernière fois c'était pour lui demander s'il n'avait pas un peu de monnaie pour la machine à café.
— On a besoin de toi pour une affaire, Jovic. Mais te réjouis pas trop vite. C'est urgent et tu es le seul disponible pour l'instant.
— Et toi ?
— Moi ? Je suis sur un dossier épineux... je prends toutes mes précautions. Depuis tes conneries sur l'affaire Jahan, on nous fout une pression, tu peux pas imaginer. Non, je suis con, bien sûr, tu peux pas imaginer...
Jovic garda son calme. Il avait joué le même jeu avec d'autres, affirmant sa place dans ce monde pourri à travers des rapports de force tronqués. Aussi, plutôt que de céder à l'impulsivité, il préféra se raccrocher à la perspective de la nouvelle affaire qu'on lui confiait, faute de mieux.
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La Brèche
Science FictionIls avaient ouvert la brèche. Ils croyaient l'avoir refermée. Leur passé les rattrape. Quand toutes vos certitudes s'envolent, quand le monde qui vous entoure n'est plus tout à fait le même, restez sur vos gardes. Le pire est à venir.