2

202 11 6
                                    

Mes mains tremblaient lorsque j'appuyai sur le bouton de la sonnette. J'attendis un moment mais il ne vint pas ouvrir. Sa voiture était là, pourtant. Il devait être encore perdu au milieu de son potager, derrière la maison. Il avait toujours été fasciné par le travail de la terre. Sa vie professionnelle ne lui avait jamais permis de s'y consacrer autant qu'il l'aurait voulu. Avant de partir en une préretraite largement anticipée, Serge avait travaillé comme professeur de physique à l'Université de Marseille. Du moins était-ce ce que je croyais jusqu'à ce matin encore.

Serge n'était pas mon oncle à proprement parler. Je le considérais ainsi, voilà tout. Il était celui qui avait joué le rôle de père de substitution quand mon géniteur avait cassé sa pipe, deux mois avant ma naissance. C'était un drôle de type. Un énergumène, pour reprendre les termes de ma mère. Fantasque, diraient certains. C'était, je crois, l'une des raisons pour lesquelles je me sentais si proche de lui. La complicité que nous avions tissée m'avait toujours été précieuse. Après ma découverte, j'avais l'impression de ne plus le connaître.

J'insistai encore un moment sur la sonnette avant de sortir mon portable pour l'appeler. Je l'entendis maugréer derrière le portail en bois avant d'avoir terminé de composer son numéro.

― Ouais, ça va, ça va, j'arrive ! Pas la peine de s'énerver comme ça ! Qui est là d'abord ?

― C'est moi, Serge.

Il ouvrit le portail.

― Matt ? fit-il, surpris. Mais qu'est-ce que tu fous là, tu devrais pas être en cours ? Hey, ça va ? Tu es tout pâle.

― J'ai de bonnes raisons de sécher pour une fois.

Ma phrase s'était engluée dans la mélasse de mon anxiété. Je ne suis pas sûr qu'il ait compris mes paroles.

― Tu vas m'expliquer tout ça. Entre-donc.

Il me prit par l'épaule, referma la porte de la cour d'entrée derrière nous.

― Quelqu'un a glissé une enveloppe à mon nom sous ma porte l'autre jour. Il y avait des références de bouquins avec des numéros de pages spécifiques pour chacun d'entre eux. Où j'ai trouvé... où j'ai trouvé ça. J'ai essayé d'appeler maman mais impossible de la joindre. Son portable est coupé.

Je lui tendis les photocopies que j'avais faites du tableau avec une partie des textes qui les accompagnaient. Serge les saisit, les déplia.

Il fit défiler les feuilles une à une, lentement d'abord puis très rapidement. Sa réaction ne se fit pas attendre.

Sa fulgurance confirma mes craintes, finit de brouiller mes repères.

La dernière étape avant la Bascule.

Du plat de la main, Serge m'appuya sur le dos et me poussa avec vigueur dans la véranda. Une fois à l'intérieur, il me retourna, me plaqua contre la vitre en regardant furtivement derrière mon épaule, comme si un danger risquait de survenir à tout moment. Alors qu'il me maintenait fermement d'un de ses bras sur ma poitrine, il retira son bracelet montre à l'aide de ses dents pour aussitôt prendre ma main et le glisser à mon propre poignet. J'étais tétanisé. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Il avait le regard fiévreux, la cicatrice dont je l'avais marqué pulsait d'un éclat violacé. Il s'était mis à transpirer à grosses gouttes en l'espace de quelques secondes. Serge était effrayé, je le devinais mais, dans le même temps, il n'avait rien perdu de la superbe assurance que je lui avais toujours connu.

― C'était un piège, Matt ! On s'est fait avoir comme des bleus et, moi, je n'ai rien vu venir. Alors écoute-moi bien, c'est très important, tu m'entends. Trouve Dimitri. Et ne fais confiance à personne d'autre qu'à lui. Tu lui dis que le sceau est brisé. Dimitri, tu trouves Dimitri, compris ?

Je hochai la tête même si j'étais dépassé par les événements.

Serge souleva mon poignet, appuya sur quelques boutons, comme s'il effectuait une combinaison magique qui allait me transporter loin, très loin. Et c'est exactement ce qui se produisit.

J'eus à peine le temps de voir un faisceau laser rouge sur le front de Serge et je m'évaporai purement et simplement.

La BrècheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant