Avant l'analyse, il a fallu faire face à la violence de l'altération. La chose est loin d'être aisée quand le refus prend le pas sur l'évidence, quand votre esprit érige toutes les protections possibles et imaginables dans le seul but de synchroniser raison et réalité. Aujourd'hui, même si les sceaux peuvent encore se briser, c'est bien sûr plus facile. Je sais tout des enjeux qui se sont noués alors. Si je devais à nouveau intervenir, je connaîtrais les mécanismes, je saurais en jouer à volonté, sans crainte.
Un dixième de seconde plus tôt, j'étais chez Serge. Pas dans la meilleure position au regard des circonstances qui m'avaient poussé à sa rencontre, mais au moins étais-je en terrain connu. L'instant d'après, le temps d'un battement d'ailes de papillon, j'étais en proie à l'inconnu, à l'incompréhension la plus totale.
J'atterris sur une étendue de sable. Ce sont mes mains qui m'ont transmis cette information. Ébloui par l'éclat sans concession du soleil et sans doute fragilisé par la translation, je me réceptionnai à quatre pattes. Je tanguais sur mes appuis, tant et si bien que je m'écroulai sur le ventre au bout de quelques secondes. Le sable était compact, dur, brûlant. Comme si mes sens devaient revenir les uns après les autres, mes narines s'éveillèrent à l'environnement et captèrent l'odeur d'algues en décomposition. J'entendis le roulement régulier de vagues. Lentement, je me retournai, un bras sur le front pour me protéger du soleil. Je restai ainsi quelques minutes. Chaque seconde passée sans bouleversement, sans que personne ne vienne perturber le calme ambiant, était comme une assurance prise sur le futur. Le danger reflue, il reflue forcément, pensai-je. Tout va rentrer dans l'ordre, c'est obligé.
Seulement, il y eut deux bruit ténus évoluant en parallèle. Deux bruits de moteur aériens, c'est ainsi que je les définis alors, se rapprochant inexorablement de ma position. Fin de la passivité.
Je me relevai, fis la mise au point avec l'horizon d'où provenaient les vrombissements mécaniques. J'oscillai entre stupeur, détresse et émerveillement. Ils étaient à trois cents mètres environ face à moi. Deux espèces de drones. Ils semblaient fendre l'air de manière saccadée, comme s'ils ajustaient leur trajectoire en fonction d'éléments récoltés au fur et à mesure de leur progression. Mais ce n'était apparemment qu'une impression d'optique car ils allaient vite, très vite. Je n'en avais jamais vu de tels. Il s'agissait de deux boules rondes métalliques à la surface desquelles des ailes amovibles pas plus longues qu'une main surgissaient de leur paroi, pour aussitôt se rétracter en pivotant et laisser la place à d'autres. Au centre, deux bandes circulaires, où je devinais un rail de capteurs ou de caméras, se croisaient. Sûrement possédaient-ils des armes ? Tous les drones n'en étaient-ils pas équipés de nos jours ? Je ne me posais pas vraiment la question. Si leur arrivée ne manquait pas de m'inquiéter, j'étais totalement sous l'emprise de ce que je voyais derrière eux, à environ un kilomètre, sur le front de mer : une succession de pylônes formant un cercle immense et érigés vers le ciel. Au centre du cercle, une ville démentielle en lévitation. Aérienne... Et derrière elle, sur des kilomètres et des kilomètres, plus ou moins hautes, reliées par des rails d'acier sur lesquels circulaient des nacelles de métal, d'autres villes.
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La Brèche
Science FictionIls avaient ouvert la brèche. Ils croyaient l'avoir refermée. Leur passé les rattrape. Quand toutes vos certitudes s'envolent, quand le monde qui vous entoure n'est plus tout à fait le même, restez sur vos gardes. Le pire est à venir.