La Brèche

10

En d'autres temps, Jovic aurait rué dans les brancards. Il se serait laissé gagner par une colère irraisonnée. Guidé par la fierté peut-être, ou pour le simple plaisir d'en découdre. L'épreuve de force comme seule option, sans alternative possible. Jusqu'à l'affaire Jahan, il n'avait jamais fait dans la demi-mesure.

Mais depuis la libération du Faiseur de Rêves et ses remous subséquents, sa vision des choses avait changé. Un verrou interne s'était débloqué. L'inspecteur prenait dorénavant les choses avec plus de recul, faisait face aux situations sans forcément céder à une brutalité instinctive.

Aussi, dans le cas présent, Jovic prit son temps, envisagea les différentes hypothèses qui auraient poussé Doizy et Stravor à lui taire l'existence du receleur de Pinum'. Un receleur qu'ils connaissaient plutôt bien. Pourquoi n'avaient-ils pas contacté Terral directement ? Protégeaient-ils quelqu'un ? Cherchaient-ils à se couvrir ? De quoi ? De qui ?

Jovic avait beau tourner les éléments dans tous les sens, la logique des agents de la Sécurité Intérieure lui restait inaccessible.

Toujours installé dans sa voiture, il reprit son portable et appela le numéro que Doizy lui avait laissé plus tôt dans la matinée.

- Tu peux m'expliquer les règles du jeu ? fit-il lorsque l'homme décrocha. J'avoue ne pas très bien comprendre.

- Pardon ?

Jovic laissa échapper un léger soupir dans sa réponse. C'est ça continue à me prendre pour une buse.

- Maxime Terral.

Silence à l'autre bout de la ligne. Soit Doizy cherchait à savoir qui se cachait derrière ce nom, option peu probable, soit il réfléchissait à la façon la plus appropriée de lui présenter les choses, histoire de s'éviter le sempiternel conflit inter services. L'approche du flic eut le mérite de trancher dans le vif, quitte à accentuer la perplexité de Jovic

- Ok. Tu l'as trouvé ?

- Quoi ? Qu'est-ce que je suis censé avoir trouvé ?

- Terral. Tu es parvenu à remonter jusqu'à lui ?

- J'ai découvert son lien avec la fausse PInum du mort, oui, mais ce que moi j'aurais aimé savoir, c'est pourquoi vous ne l'avez pas mentionné quand nous nous sommes vus !

L'irritation de Jovic avait franchi un palier. Si la discussion continuait dans ce sens, un prochain n'allait pas tarder à l'être également, et ça ne présageait rien de bon. Doizy dut le sentir car il calma le jeu aussitôt.

- Bon, Jovic, je comprends que tu réagisses comme ça. Si ça peut te rassurer, on ne cherchait pas à te mettre à l'épreuve. On connaît tes états de service et pour tout te dire, c'est pour cette raison qu'on a demandé expressément à ce que ce soit toi, et uniquement toi, qui nous rejoigne sur cette affaire.

- Attends. Attends deux secondes, lâcha Jovic en se refaisant mentalement l'entrée de Pagès dans son bureau le matin même. Comment ça, vous avez demandé à ce que ce soit moi qui vous rejoigne ? Ce n'est pas ce que l'on m'a laissé ente...

- Tu régleras ça avec ta hiérarchie. De notre côté, nous n'avons pas cherché à te balader. Effectivement, nous savions que la PInum était fausse et qu'un de nos indics était à son origine. Et oui, nous aurions pu te le dire. Mais nous ne l'avons pas fait pour que tu ne sois pas parasité par nos propres avancées, aussi maigres soient-elles. On voulait te laisser libre d'appréhender l'enquête comme bon te semblerait, avec un regard neuf. Tu es remonté jusqu'à Terral, parfait. Le souci, c'est que nous ne savons pas où il est passé. Il a disparu de la circulation depuis une dizaine de jours, peu de temps apparemment après avoir réalisé la PInum du machab'. Nous ne savons donc pas...