Chapitre 1 : La visite où tout commence

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Quelques broussailles avaient envahi le chemin d'accès, signe que rares étaient ceux intéressés par cette maison perdue au fin fond des monts d'Ardèche. Le premier village était à plusieurs kilomètres, les premiers commerces à près de quarante minutes de voiture, sans même parler de "ville". L'agent immobilier nous avait précisé à plusieurs reprises la situation très isolée de la maison. Il avait insisté, comme s'il était persuadé de ne jamais réussir à conclure cette vente, encore moins avec un jeune couple d'exilés parisiens, dont la période COVID avait fait revoir les projets de vie.

Après avoir bravé quelques ronces et orties, nous découvrons enfin la bâtisse de pierres nichée au creux de la forêt. Le coup de cœur est immédiat. Une jolie terrasse nous accueille sur l'avant de la maison. Sans approcher plus, nous pouvons déjà deviner que l'habitation surplombe un jardin en terrasses. Nous le découvrons rapidement, l'agent immobilier ne s'attarde pas. Cependant, malgré son état d'abandon actuel, je me mets instantanément à rêver d'y installer fleurs et potager.

Nous pénétrons dans la maison, qui ouvre directement dans la cuisine. C'est cette unique pièce qui servait autrefois d'habitation à la famille vivant ici. Au cœur de la pièce rustique trônent une table poussiéreuse, quelques chaises au paillage défraîchi et un poêle à bois faisant également office de cuisinière. Tandis que nous restons silencieux, l'agent immobilier vante immédiatement la robustesse et les performances de chauffage du poêle.

La bâtisse qui était une ancienne ferme a été entièrement rénovée. Attenante à la cuisine, l'ancienne écurie transformée en pièce de vie est de belle taille avec une magnifique vue sur la vallée. Bien qu'elle soit encore meublée de canapés miteux, il ne fait nul doute à mes yeux qu'il suffira d'un peu de décoration pour transformer cette pièce en un cocon chaleureux.

Dans un coin du salon, l'escalier de meunier qui mène à l'étage attire notre attention. Sa pente raide nous laisse un peu perplexes quant à sa praticité pour un passage quotidien. Devant nos interrogations, l'agent immobilier n'est pas capable de nous dire si cet escalier était celui d'origine rénové ou s'il est un ajout récent. J'essaie de le voir comme comme un clin d'œil au passé, une empreinte de l'ancienne ferme où il reliait le fenil et l'écurie. Ainsi, je choisis de ne pas m'en formaliser pour ne pas laisser un seul point obscurcir la joie que me procure cette visite. L'agent immobilier, quant à lui, insiste sur la possibilité de le remplacer "facilement" ou l'habitude que prennent rapidement les habitants des bizarreries pleines de charme de ce type de maison. Pour l'heure, les chambres et sanitaires se trouvant à l'étage, nous n'avons d'autre choix que de l'emprunter avec précaution.

Je ne saurais dire si c'est un résidu de vertige ou une hypersensibilité provoquée par mes six mois de grossesse, mais, gravir cet escalier me laisse une étrange impression. A mi hauteur, un frisson glacial me parcourt. Instinctivement, je m'agrippe au tee-shirt de Marc qui monte devant moi et enroule mon autre bras autour de mon ventre.

Parvenue à l'étage, je chasse vite cette sensation, souriant en entendant Marc, mon mari, en train d'interroger l'agent immobilier sur la question des eaux usées. Pendant qu'ils évoquent les règlementations et l'accès à l'eau, qui se fait sur une source autonome, je fais le tour des trois chambres. Je les parcours en caressant tendrement mon ventre, imaginant déjà dans l'une d'elle une chambre d'enfant pleine de couleurs.

Nous terminons la visite sur la terrasse, l'agent immobilier a retrouvé le sourire. Sa fibre commerciale revitalisée par notre intérêt, il enchaîne les louanges sur le calme environnant, le charme de cette maison typique, le peu d'efforts requis pour la mise en conformité de la fosse sceptique ou la réouverture du chemin d'accès.

Tandis qu'il parle, Marc plonge ses grands yeux bleus marines dans les miens. Je sens un sourire illuminer mon visage. Si mon cartésien de mari n'a trouvé aucune objection sur la structure de la maison, mon coup de cœur pour les lieux l'emportera. Je le sais, cette maison perdue au milieu de nulle part deviendra notre petit paradis.

Et ainsi, sans que nous le sachions encore, cet instant marqua le début d'une histoire bien plus étrange et profonde que celle d'un simple déménagement.

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant