Chapitre 14 : Un pas après l'autre

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Solange

Les jours passent, les mois s'écoulent, et notre étrange cohabitation perdure. Notre corps grandit, Automn se développe aussi. Elle qui n'était faite que de sensations commence à élaborer ses propres pensées. J'assiste avec émerveillement à l'éveil de sa conscience, je l'entends s'interroger sur le monde qui l'entoure. Je crois qu'elle peut aussi m'entendre, même si elle ne semble pas s'intéresser à mes monologues intérieurs. Parfois, je m'attendris au contact d'Automn, de sa douce innocence, mais à d'autres moments, la frustration me ronge. Moi qui ai déjà été adulte, avec un corps qui m'obéissait, je n'arrive pas à revivre cette période. Automn cherche naturellement à grandir, tandis que moi, je reste figée. Cette lente progression vers une autonomie que j'ai déjà atteinte m'insupporte. Parfois, je regarde les efforts d'Automn avec mépris. Je sais qu'elle le ressent, dans chaque geste, à chaque tentative de maîtriser ce corps qui se rebelle contre elle.

Alice est tout aussi perdue que nous. Elle essaie d'être une bonne mère, de comprendre ce qui se passe et nous couvre d'amour. Mais elle est déconcertée par le comportement de son bébé, si changeant, si absent parfois. Quand elle nous apprend à marcher ou à parler, Automn veut avancer, je le sens dans son énergie, son élan. Moi, je ne fais aucun effort pour apprendre, puisque je sais déjà faire. En revanche, je ne comprends pas pourquoi notre corps refuse de suivre mes directives. Pourquoi est-il si lent, si maladroit ? Ce besoin permanent de dormir m'insupporte profondément ; les heures sont interminables dans ce petit corps au repos, je me sens emprisonnée. Automn tente de se tenir debout, de balbutier ses premiers mots, mais à chaque fois, je sens que je résiste, presque malgré moi. Je ne peux pas me laisser aller à babiller ni risquer de tomber tant mes jambes sont instables, arquées et tremblantes.

Peu à peu, nous devenons une petite fille, mais pas comme les autres enfants. Notre développement psychomoteur est désordonné, nos gestes maladroits, comme si notre corps ne pouvait pas suivre le rythme de nos pensées embrouillées. Plus le temps passe, plus je sens que ma présence perturbe Automn. Pourtant, certaines choses évoluent. Le jour où Automn a réussi à attraper un livre, nos deux esprits ont commencé à travailler à l'unisson : elle, qui s'entraînait à le manipuler, et moi, avide de lecture. À partir de ce jour, il est devenu évident que lorsque nos intérêts sont communs, nous parvenons à faire fonctionner ce corps. C'est ainsi que nous avons pu abandonner les couches et les moments de change, que je trouvais si humiliants. En gagnant en force et en autonomie, les contacts obligatoires avec Alice se sont espacés, et nous vivons dans une paix relative, avec une bibliothèque bien garnie à portée de main. Pendant quelques mois, tout semble paisible, et j'ai l'impression qu'il me sera possible de surmonter la longue période de l'enfance. Alice reste douce et patiente avec sa fille, bien que je devine parfois ses interrogations sur notre comportement inhabituel. Elle semble prête à accompagner notre développement atypique.

Jusqu'au jour de la rentrée des classes.

Les tensions à la maison ont commencé à monter durant l'été. Alice et Marc ne sont plus d'accord sur ce qu'il faut faire pour leur fille. Alice veut protéger Automn, la garder près d'elle, dans la bulle que nous avons construite. Marc, lui, pense qu'il est temps qu'Automn soit entourée d'autres enfants et apprenne à se socialiser. Il est fermement convaincu que l'école est la clé pour forcer Automn à s'ouvrir au monde.

Le jour de la rentrée, je peux sentir la peur d'Alice. Elle est nerveuse, son cœur bat la chamade, et sa main moite serre la mienne, bien qu'elle essaie de ne rien laisser paraître. Automn est calme et attentive ; quant à moi, j'ai hâte d'aller à l'école, d'apprendre enfin de nouvelles choses. Mais dès que nous entrons dans la classe, mes illusions s'effondrent. Autour de moi, vingt-quatre bébés hurlent qu'ils veulent leurs parents, et une maîtresse tente de les calmer avec des comptines, de la peinture, de la pâte à modeler ou des roulades sur des tapis. C'en est trop pour moi. Ce bruit, cette salle grouillante de monde... Dès que je le peux, je m'échappe. J'ai facilement repéré l'accès à l'école primaire, où l'après-midi ont lieu des cours d'histoire ou de sciences que j'écoute avec intérêt, cachée dans le couloir. Évidemment, cela nous a valu de nombreuses réprimandes. Il semble que quitter la classe soit mal vu. Lorsqu'un adulte nous gronde, Automn se ratatine dans un coin de notre esprit, mais moi, je m'en fiche.

À la mine défaite d'Alice, je comprends que son rendez-vous à l'école s'est mal passé. Je l'entends en parler avec Marc : ils ont reçu une convocation pour discuter de notre comportement. Alice nous prend dans ses bras, longtemps. Trop longtemps. Je me débats, et elle nous relâche enfin. Je retourne m'installer dans un fauteuil, une encyclopédie sur les genoux, mais je sens son regard inquiet peser dans mon dos.

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant