Chapitre 17 : Oh rage ! Oh désespoir !

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Un jeudi où le brouillard enveloppe la maison, Marc nous attend à notre retour de Valence. Dès que je le vois, je sens que quelque chose ne va pas. Son visage est crispé, ses yeux bleus assombris. Il tient plusieurs documents dans sa main, et avant que j'aie pu dire un mot, il accompagne Automn dans sa chambre avec un livre. Quand il revient, je sens la colère émaner de lui. Il me fixe, immobile, pendant un temps qui me paraît interminable, puis il explose :

"Tu peux m'expliquer ça ?"

Il balance les documents qui s'éparpillent sur la table : mes relevés de compte. Mes yeux se figent immédiatement sur les lignes marquées au stabilo. Tremblante, je ramasse lentement les papiers et je reconnais les paiements à la naturopathe, les achats de livres, de matériel, les consultations de voyantes... Des semaines de dépenses désespérées, de tentatives pour trouver une solution, se dévoilent sous ses yeux furieux.

"Alice, réponds-moi ! Ça ne va pas du tout ! Qu'est-ce que c'est que toutes ces dépenses ? Et où est-ce que tu as emmené Automn cet après-midi ?" Marc hurle presque, sa voix vibrante de frustration.

"Ce sont des achats pour le matériel pédagogique d'Automn... et je consulte une spécialiste avec elle, tu sais, pour ses repas, son traitement..." Ma voix tremble sous le poids de son regard. Je me sens clouée au pilori, jugée sans appel.

"Mais tu as vu les montants ? C'est de la folie, Alice ! Et toi, de quand date ton dernier contrat ? Tu crois qu'on va pouvoir tenir longtemps comme ça ? On ne peut pas se permettre de telles dépenses, on a un crédit à rembourser. Et tu penses à ta fille un peu ? Manger des graines, pas de sucre, pas de lactose, pas de gluten... tu crois que c'est ça, une vie d'enfant ? Automn a besoin de normalité, pas que tu lui inventes des problèmes. Et cette 'spécialiste', c'est quoi ? Un vrai médecin ? C'est ça, son traitement ? Ces herbes et ces compléments alimentaires ? Qui t'a prescrit tout ça ?" Il me foudroie du regard, sourd à mes larmes qui commencent à couler.

"Ce n'est pas vraiment un médecin," sangloté-je. "Elle est naturopathe."

"Une naturopathe ?!" Marc est hors de lui. "Tu as perdu la tête, Alice ! C'est quoi la prochaine étape ? Une sorcière ? Un chaman ? Peut-être un marabout ? Et regarde cette maison, c'est une porcherie ! Qu'est-ce que tu fais de tes journées ?"

"Je priorise notre fille !" crié-je, la colère montant en moi. "Je mets toute mon énergie à la sortir de son enfermement ! Et oui, j'irai voir des sorcières, des prêtres, n'importe qui si ça peut l'aider, que ça te plaise ou non ! Quant à la maison, tu vis ici aussi, non ?"

Le silence tombe lourdement. Marc me fixe, son regard glacial me transperce. Un dégoût palpable émane de lui, et pour la première fois, je remarque que c'est le même regard que celui d'Automn quand elle se referme sur elle-même. La colère, la douleur, tout afflue en moi.

"Tu sais quoi ? Tu n'es jamais là ! Je gère tout ici, seule. Pourquoi tu ne télétravailles plus ? Pourquoi tu passes tout ton temps en déplacement ? Tu crois que c'est facile de gérer Automn seule ? Je n'ai pas décidé toute seule de venir m'enterrer au fin fond de l'Ardèche ! Et Automn n'est pas à l'école parce que l'école l'a refusée. Ce n'est pas une lubie de ma part, notre fille ne va pas bien. Elle est autiste, Marc. AUTISTE. Être bizarre, c'est sa normalité !" Ma voix explose, se brisant dans un sanglot étouffé.

Marc reste silencieux un instant, les yeux rivés sur moi. Puis sa voix se fait plus douce, presque désolée, mais ferme.

"Il faut qu'on consulte un vrai spécialiste, Alice. Un médecin. Je vais contacter l'hôpital. Tu ne peux pas diagnostiquer notre fille avec des livres ou des forums. Ce n'est pas comme ça que ça marche."

Quelques semaines plus tard, nous nous retrouvons à l'hôpital. C'est Marc qui a tout organisé. Il s'est levé tôt le lendemain de notre dispute, a pris rendez-vous avec l'hôpital de Lyon, et maintenant, nous y sommes. La salle d'attente est blanche, aseptisée, étouffante. Automn, silencieuse, est assise entre nous, perdue dans un livre. Marc, concentré, parle avec une infirmière. Il gère tout. Je suis à la fois rassurée de voir qu'il s'investit enfin, qu'il prend les choses en main... mais quelque chose me tord l'estomac. L'univers hospitalier m'oppresse, et je ne peux m'empêcher de penser à ce qu'Automn doit ressentir.

On nous appelle enfin. Nous passons dans une salle lumineuse où on prépare Automn pour une série de tests : IRM, EEG, prises de sang. Marc tient fermement la main de sa fille pendant qu'ils lui posent les électrodes sur la tête. Automn ne bouge pas, son visage est impassible, comme si elle s'était réfugiée quelque part loin d'ici. Je me sens déchirée. D'un côté, je suis soulagée que Marc prenne les rênes, qu'il s'implique dans ce processus. De l'autre, je suis pétrifiée par ce que ces tests pourraient révéler, par l'idée qu'on impose à Automn ce monde froid, ces machines. Que va-t-il se passer si le diagnostic tombe ? Que va devenir ma fille une fois qu'elle sera étiquetée, enfermée dans une case ? Ce diagnostic va-t-il la suivre toute sa vie ? Je ne cesse de me demander si nous faisons le bon choix.

Marc me jette un coup d'œil, ses yeux bleus sont redevenus calmes, mais je vois la tension dans ses traits. Je me force à sourire, mais au fond de moi, je ne suis pas en paix. J'ai l'impression de trahir Automn, de la livrer à un système qui la jugera sans comprendre qui elle est vraiment.

Quand les tests sont enfin terminés, nous rentrons à la maison en silence. Marc est déterminé. Il parle déjà de la prochaine étape, des médecins à consulter, des solutions à envisager. Moi, je reste figée dans mes pensées, redoutant ce que l'avenir nous réserve. Je veux qu'Automn ait une chance, mais à quel prix ?

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant