La nouvelle d'Automn

Chapitre 28 : Au Seuil de la Liberté

Solange

Je les observe, Marc et Alice, ensemble, rayonnant d'un bonheur tranquille que je n'avais pas vu en eux depuis si longtemps. Leur amour, autrefois englouti par les épreuves et les douleurs, semble avoir refait surface, plus fort, plus vibrant. Alice est allongée contre Marc, son visage détendu, presque lumineux. Ils se parlent à voix basse, leurs rires s'entremêlant avec le chant des oiseaux.

Automn est dans sa chambre, occupée avec ses livres. Je sens son esprit, encore fragile mais de plus en plus présent. Elle grandit, elle évolue. Chaque jour, elle parvient à s'affirmer un peu plus, à trouver sa place dans ce monde. Et moi... je m'efforce de rester en retrait. Chaque instant, je me répète que ce corps n'a jamais été le mien. Qu'il appartenait à Automn depuis le début, que ma place n'est pas ici, que ma présence est une aberration. Chaque jour, quand Automn s'assoupit, je me concentre pour partir, la laisser, enfin.

Depuis quelques jours, quelque chose a changé. Depuis le retour de Marc et Alice, une lumière est apparue, intense, presque aveuglante. Elle n'avait jamais été là auparavant, et pourtant, elle me semble si familière, si douce. C'est comme une porte que je n'avais pas encore vue, un chemin que je dois emprunter. Je me sens attirée par cette lumière, irrésistiblement. Elle rayonne d'une chaleur aussi puissante que le soleil d'été, m'enveloppant comme une promesse de paix.

Peut-être est-ce enfin le moment de partir. Peut-être que je peux enfin libérer Automn, la laisser grandir sans moi, sans cette lutte intérieure que je lui impose sans le vouloir. Je m'approche de la lumière, chaque pas me rapprochant un peu plus de cette paix que je recherche depuis si longtemps. Je me sens légère, presque prête à m'abandonner complètement à cette douce clarté. Je me sens renouer avec la volatilité propre aux âmes éthérées, je me retourne et soudain, je me rends compte que je vois Automn, de l'extérieur, pour la première fois. Une petite parcelle de mon être se raccroche encore à elle, mais je sens que je peux quitter l'enveloppe charnelle que nous partageons depuis toutes ces années.

Mais une part de moi hésite. Est-ce vraiment le bon moment pour partir ? Automn est plus forte, oui, mais elle est encore si vulnérable. Son esprit, tout comme son corps, porte encore les stigmates de notre cohabitation forcée. Je sais qu'elle est différente des autres enfants. Son autisme est une part d'elle, et je me demande si, même sans ma présence, elle parviendra à s'épanouir. Sera-t-elle capable de faire face au monde, seule, avec ses particularités ? Et si elle avait encore besoin de moi ? Si, malgré tout, ma présence pouvait lui être utile d'une manière que je n'ai pas encore comprise ?

Je m'arrête, juste avant d'entrer complètement dans la lumière. Mes pensées me ramènent en arrière, ma vie défile. Soudain, tous mes souvenirs se portent vers le bébé que j'ai perdu de mon vivant. J'aurais tant voulu le connaître, le serrer dans mes bras, le voir grandir. Ce chagrin, cette perte, m'ont hantée pendant si longtemps. Au contact d'Automn, j'ai guéri un peu, mais le creux dans mon cœur semble ne jamais pouvoir être comblé. Je regarde Alice, la lumière est tout près d'elle. Je la comprends tellement dans ses inquiétudes de mère, moi aussi j'ai peur pour Automn, pour son avenir. Je suis là, à chercher ma voie entre mon avenir incertain et mon passé douloureux. Peut-être que cette lumière est une chance de retrouver mes proches disparus, de renouer avec ce qui m'a été arraché si brutalement. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser à Automn. Elle a encore toute sa vie devant elle, et je ne sais pas si elle pourra la mener pleinement sans moi.

Alors, je fais un pas en arrière. La lumière reste là, brillante, accueillante, mais je ne la rejoins pas. Pas encore. Je décide de me retirer dans cet entre-deux, rester auprès d'Automn, mais pas entièrement. Flotter à ses côtés, mais plus dans son esprit, être là, en veille, comme un écho lointain, une présence invisible.