Chapitre 9 : C'est à l'école tagadagada...

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Quelques semaines plus tard, Marc et moi sommes installés sur de minuscules chaises dans la salle de maternelle pour la réunion de rentrée scolaire organisée par l'institutrice d'Automn. Devant une vingtaine de parents, la maîtresse explique que certains enfants pleurent encore le matin, mais que c'est parfaitement normal. Elle ajoute que chacun commence à trouver sa place et que tout se passe bien. Elle décrit ensuite la journée type et les attentes en petite section.

Quand elle propose de répondre aux questions, une première maman demande si tout se passe bien avec son enfant. La maîtresse sourit et la rassure puis offre à tous les parents qui le souhaitent de prendre quelques minutes pour parler individuellement de la rentrée de leurs enfants.

Quand vient notre tour, je m'avance, le cœur battant et demande timidement : "Comment ça se passe avec Automn ?"

Elle me répond avec un grand sourire : "Quelle petite fille modèle ! Bien qu'un peu timide, votre fille est particulièrement sage."

À mes côtés, Marc jubile. Quand nous retrouvons notre maison, je me sens un peu rassurée.

Cependant, au mois de décembre, nous recevons un mot dans le cahier de liaison d'Automn : une proposition de réunion "d'équipe éducative" à son sujet. Y seront présents l'institutrice et le directeur de l'école, et la présence des parents est requise. Automn, en revanche, n'est pas conviée. Marc ne pourra pas être présent, trop pris par des contraintes professionnelles. C'est Monique, notre voisine, qui veillera sur Automn, le temps de la réunion.

Le jour venu, j'ai le ventre noué d'inquiétude. Marc a essayé de me rassurer la veille en me rappelant les paroles bienveillantes de la maîtresse quelques semaines plus tôt. Cependant, dès que j'entre dans le bureau du directeur et que je croise son regard et celui de l'institutrice, je sais que la rencontre ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices.

"Bonjour, Madame Gautier, merci d'avoir accepté cette rencontre. Votre mari n'a pas pu se libérer ?" me salue le directeur, un homme aux cheveux grisonnants et à l'embonpoint prononcé.

"Bonjour, non, malheureusement, mon mari est en déplacement cette semaine", dis-je maladroitement, me dandinant d'une jambe sur l'autre.

"Installez-vous, je vous prie. Nous vous avons convoquée pour parler des difficultés que nous rencontrons avec Automn."

Même assise, je me sens chanceler et me contente d'hocher la tête.

"Madame Tessier va prendre le relais. Comme c'est la maîtresse d'Automn, elle saura vous donner plus de détails."

Madame Tessier prend la parole. Elle explique qu'elle n'a toujours pas entendu la voix d'Automn. Peu importe ce qu'elle lui demande, ma fille reste silencieuse. Elle refuse également de participer aux travaux manuels : ni gommettes, ni pâte à modeler, elle demeure impassible face à tout ce qu'on lui propose. En revanche, elle s'anime légèrement lorsqu'il s'agit de chanter, bien qu'elle ne produise que des sons, tout bas, sans parole. Enfin, et c'est le plus dérangeant, elle ne cesse de s'enfuir de la classe. Dès qu'elle en a l'occasion, elle se faufile dans les couloirs de l'école primaire ou se cache au milieu d'une pile de livres à la bibliothèque.

Rougissante, je balbutie : "Je suis désolée..." Reconnaissant que trop bien, dans le portrait fait par la maîtresse, Automn et ses spécificités, je baisse la tête, ne trouvant rien à répondre.

"Vous comprenez bien, Madame, qu'il nous est impossible de continuer à accueillir Automn dans ces conditions. C'est trop dangereux. Nous n'avons pas assez d'adultes pour garder un œil sur elle en permanence. Imaginez qu'elle parvienne à s'échapper et qu'il lui arrive malheur ! Je ne pourrais jamais m'en remettre." reprend le directeur.

IL ne pourrait pas s'en remettre ? Songeai-je, abasourdie. C'est de ma fille dont il s'agit, celle-là même que son père me reprochait de trop protéger. Comment osait-il dire qu'il ne s'en remettrait pas ? Moi, je n'avais qu'elle, sans elle, je ne survivrais pas.

"Écrivez-le." Dis-je d'une voix basse, presque menaçante.

"Pardon ?" demande-il, surpris.

"Écrivez-le. Que vous refusez ma fille dans votre école. Mettez-le par écrit." J'insiste, sentant la colère monter, contre l'école, le directeur, la maîtresse, contre Marc qui m'a obligée à inscrire notre fille, et contre moi-même qui n'ai pas insisté davantage pour la garder près de moi.

"Enfin, Madame Gautier, ce n'est pas ce que nous sommes en train de dire. Il faudrait envisager des aménagements. Peut-être que la rentrée était prématurée pour Automn. Avez-vous consulté un spécialiste pour le langage ? Une orthophoniste, peut-être ?" tente Madame Tessier, visiblement désireuse de m'apaiser.

"Le médecin n'a jamais estimé qu'un spécialiste était nécessaire..." Je marmonne, soudain envahie par la culpabilité de ne pas être allée au bout de mes recherches pour un second avis médical.

"Vous travaillez, Madame Gautier ?" interrompt brusquement le directeur.

"Non. Enfin, si. Je travaille à mon compte, mon bureau est à la maison." réponds-je légèrement déstabilisée par la question.

"Très bien." Il marque une pause avant de reprendre : "Et si nous vous proposions d'accueillir Automn deux matinées par semaine, pour l'aider à s'adapter progressivement à son statut d'élève ?"

"C'est d'accord", dis-je, soulagée. "J'aimerais une synthèse écrite de cette réunion, s'il vous plaît. Au moins pour informer mon mari. Et... Peut-être pour envisager l'instruction en famille..." osé-je ajouter.

Le directeur hoche la tête, visiblement satisfait de notre entente, et je prends le chemin du retour, pressée de retrouver ma fille dans notre maison au cœur de la forêt.

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant