Chapitre 6 : Un mois rond comme un bidon

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Le dernier mois de ma grossesse s'est déroulé avec une douceur inattendue. Mes angoisses s'étant dissipées, Marc et moi avons retrouvé une grande complicité. Les fins d'après-midis, nous nous blottissons sous un plaid sur la terrasse, observant les feuilles des arbres alentour s'envoler au gré du vent et tourbillonner jusqu'au sol. C'est lors d'un de ces moments paisibles que nous avons choisi le prénom de notre bébé. Un prénom plein de poésie qui s'est imposé à nous comme une évidence.

Au petit matin du 22 octobre, je suis réveillée par des contractions. Elles sont un peu plus intenses que celles auxquelles je m'étais habituée au cours du dernier mois. Une vague d'excitation m'envahit et me pousse à me lever. Mon humeur est comparable à celle d'un enfant au matin de Noël. Cette fois, c'est le moment, je le sens. Nous allons enfin rencontrer ce petit être encore lové dans mon ventre.

Prenant soin de ne pas réveiller Marc, je me dirige vers la cuisine pour préparer deux litres de tisane de framboisier. Pendant qu'il dort encore, je m'installe dans le canapé avec ma tasse, allume la télévision et lance un épisode de Gilmore Girls. Cette série réconfortante est ma madeleine de Proust, idéale pour accompagner cette saison d'automne. Mais aujourd'hui, je n'arrive pas à me concentrer. Je trépigne, et à chaque contraction, je me lève pour marcher, soufflant doucement en arpentant le séjour. Finalement, j'enfile un pull et m'installe sur la terrasse, tasse à la main. Je m'assois sur le swiss ball, que je réserve pour l'assouplissement de mon bassin, jamais pour le sport . Face au spectacle de la nature qui se pare de couleurs automnales, je respire profondément, et me laisse bercer par le rythme de mes hanches dessinant des cercles. Je suis heureuse de pouvoir mettre en œuvre ce travail que je prépare depuis des mois et me concentre sur l'arrivée imminente de mon bébé.

Les heures passent, et les contractions se font plus intenses. Bien qu'elles soient encore irrégulières, je décide d'aller réveiller Marc. J'ai envie qu'il soit près de moi. C'est un premier bébé, on dit que le travail peut durer longtemps. La sage-femme m'a rassurée quant au 50 minutes de temps de trajet qui nous sépare de la maternité : même si je pars au moment où la douleur devient plus vive, nous aurons largement le temps d'y arriver.

Marc, encore un peu ensommeillé, boit son café à côté de moi. Les vagues de contractions entrecoupent notre discussion, mais je me sens bien, sereine. Nous décidons même de faire une promenade dans notre jardin, histoire d'aider le travail à avancer. À notre retour, je prends un bain. L'eau chaude me réconforte, et bien que les contractions deviennent plus puissantes, elles restent gérables. Lorsque l'eau commence à refroidir, je sens le besoin de sortir. Marc vient m'aider, m'enveloppe dans un peignoir doux, et nous redescendons ensemble. Il a préparé un feu dans la cheminée, l'ambiance est apaisante.

Je reprends mes déambulations dans toute la maison, soufflant plus bruyamment à chaque nouvelle contraction.

« Tu crois qu'il est temps de partir ? » me demande Marc, inquiet.

« Non, regarde, je peux encore marcher, et te parler facilement. » Je lui souris mais mon sourire se fige à la contraction suivante, plus intense encore que la précédente. « Tu peux quand même préparer la voiture, au cas où ? » lui dis-je, avec un brin de prudence.

Marc s'exécute sans tarder. Pendant qu'il charge nos affaires dans le coffre, une nouvelle contraction s'annonce. Contrairement aux autres, celle-ci me foudroie. La contraction me transperce littéralement, faisant éclater ma bulle. Je ne gère plus du tout. J'ai mal, très mal. Et j'ai peur. J'ai besoin d'être à la maternité, tout de suite. Mes jambes me lâchent, je m'effondre sur le canapé en position fœtale, tremblante. C'est ainsi que Marc me retrouve. Je lis la panique dans ses yeux. Il tente de me relever pour m'emmener à la voiture, mais je suis paralysée par la douleur. Marc est face à moi, les bras ballants, le regard affolé.

« Appelle Marion ! » suppliai-je entre deux souffles. Notre sage-femme saura quoi faire. Elle saura m'expliquer pourquoi, tout à coup, j'ai si mal.

J'entends Marion à l'autre bout du fil, sa voix est calme et rassurante. J'entends mon mari débiter un flot de paroles, puis il cale le combiné près de mon oreille et Marion m'explique qu'elle est en route. Pendant ce temps, Marc prend mon téléphone et appelle les secours. Toujours posée et professionnelle, Marion me dit que j'ai peut-être attendu un peu trop longtemps pour partir à la maternité. Mais elle me rassure, elle est en chemin pour évaluer la situation, et Marc en train d'appeler les pompiers pour m'accompagner à l'hôpital.

« J'ai trop mal... » murmurai-je dans un souffle.

« N'aie pas peur, j'arrive », répond-elle d'une voix douce, puis elle reste en ligne sans parler, pour me soutenir dans ce moment difficile.

Soudain, mon corps m'offre une accalmie. Le temps semble suspendu, sans nouvelle contraction. Surtout, Marion arrive enfin. Elle propose de m'examiner sur place. Comme je suis toujours en peignoir, la manœuvre est facile. À son regard, je comprends que le travail est bien plus avancé que nous ne le pensions. Une nouvelle contraction déchire mon ventre, et Marion me donne une seule instruction :

« Pousse là où ça fait mal. »

Alors, je pousse. Je pousse en soufflant. Je pousse encore et je sens mon bébé descendre. Un cercle de feu enflamme mon bassin, mais je continue. Enfin, mon bébé est là, entre les mains de Marion, qui a, je ne sais quand et comment, enfilé des gants et glissé des protections sous mon corps.

« Une magnifique petite fille », dit-elle doucement.

Elle me tend ce petit être vagissant, et je la prends contre ma poitrine. À mes côtés, Marc essuie quelques larmes.

« Bienvenue Automn », lui dis-je tendrement.

Deux petits yeux noisette s'accrochent aux miens. Je suis fascinée par ce regard profond. Nous nous regardons longuement, mes yeux brouillés de larmes d'amour dans les siens qui semblent venus d'un autre temps.

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant