Chapitre 16 : Pâtes au sarrasin et huile de foie de morue

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Avec Marc, c'est la guerre froide, mon mari et moi ne nous adressons même plus la parole. Chacun vit dans son coin et je me retrouve seule face aux difficultés de ma fille. Je me sens perdue, abandonnée au milieu de cette forêt, ce qui devait être mon paradis est devenu ma prison, je me sens oppressée par la verdure, par les bruits de la nature, par ma solitude. J'ai dépensé des centaines d'euros en livres, suivi des formations en ligne, voulu être une super mère, une super prof, mais rien ne fonctionne. Comme nous avons fait le choix stupide de venir vivre dans cette région désertée, je n'ai trouvé aucun professionnel pour m'aider avec l'éducation d'Automn. De toute façon, je ne veux la confier à personne. Tous la jugent, cherchent à lui coller des étiquettes, poser des diagnostics. Même nos voisins, pourtant si gentils, Yves et Monique, commencent à me faire des remarques sur le comportement de ma fille.

J'ai réussi à faire en sorte qu'Automn dise quelques mots, des petits mots du quotidien, mais chaque progrès ressemble à une lutte sans fin. Souvent, j'ai l'impression qu'elle avance puis que tout s'effondre à nouveau. Automn peut être une petite fille d'une incroyable facilité quand elle obtient ce qu'elle veut, et je ne devrais pas me plaindre : quel parent d'une enfant de trois ans peut se vanter de lire pendant des heures pendant que son enfant reste tranquillement à côté, plongée dans ses propres livres ? Mais ce n'est pas normal, je le sais. Plus j'observe Automn, plus je suis persuadée qu'elle sait lire. Je vois ses yeux balayer méthodiquement la page, puis passer à la suivante, et ainsi de suite. Je n'en parle à personne. Qui me croirait ? Ma toute petite de trois ans ne saurait pas parler, mais lire, cela semble absurde.

J'aimerais qu'Automn me dise ce dont elle a besoin. Parfois, nous cuisinons ensemble, jardinons ou lisons côte à côte, et la vie semble douce. Puis je me rappelle cette angoisse constante : l'Éducation nationale finira par venir nous contrôler. Je dois m'occuper de son instruction, nous devons réussir. Alors, je reprends le programme, lui demande de coller des gommettes ou de tracer des lignes. Quand je l'installe à son petit bureau, Automn me fixe, ses grands yeux noisette pleins de défi. Quand j'essaie toujours plus de pédagogies alternatives, elle s'en fiche complètement, rien ne l'intéresse. Elle ne fait que ce qu'elle veut. Je m'accroche à l'idée qu'elle sait être autonome dans les gestes du quotidien, mais je ne comprends pas pourquoi elle semble se braquer dès qu'il faut répondre à une consigne. Son entêtement me terrifie.

Petit à petit, mes recherches en ligne m'ont conduite à envisager l'idée qu'Automn pourrait être autiste. Son mutisme et son désintérêt profond pour le monde qui l'entoure correspondent bien à ce profil. J'ai commencé à échanger avec d'autres mamans via des forums. Cela me fait du bien de voir que certaines sont confrontées aux mêmes difficultés que moi, qu'elles comprennent ce que je vis. Grâce à elles, Automn est désormais au régime sans gluten et complémentée en oméga-3, -6 et en probiotiques. Sur les conseils de Julie, qui m'a dit que cela avait métamorphosé son fils, j'ai également commencé à m'intéresser aux pouvoirs des pierres. J'ai acheté un bracelet en apatite bleue qu'Automn m'a laissé lui mettre au poignet sans rechigner pour favoriser la communication, et une géode d'améthyste que j'ai installée dans sa chambre pour équilibrer ses énergies.

C'est juste après avoir expérimenté la lithothérapie qu'elle a réussi à ébaucher sa première phrase : "Je veux livre." Le soulagement et la fierté m'ont aveuglée. Ces méthodes fonctionnaient, j'avais enfin trouvé un moyen d'aider ma fille. Encouragée par ces résultats, je cherche plus loin. J'emmène Automn chez une naturopathe spécialisée près de Valence. Elle propose un véritable plan de vie : nouvelle alimentation, compléments à base de plantes et un programme d'activités physiques. Je ne me suis pas posée de question, et j'ai commencé à suivre scrupuleusement ses consignes. Nous nous rendons à un rendez-vous de suivi chaque semaine, malgré la route, malgré la fatigue. Automn se plie aux nouveaux rituels quotidiens mais son regard sombre ne la quitte presque plus. Je me demande parfois si je ne la perds pas un peu plus à chaque séance.

C'est dans la salle d'attente de la naturopathe que je rencontre Brigitte. Grande, une cinquantaine d'années, regard perçant et odeur chargée d'encens qui envahit l'espace dès qu'elle entre dans la pièce. Après quelques semaines à fréquenter cette petite salle en silence, c'est elle qui entame la conversation. Elle a vite remarqué le bracelet en pierres qu'Automn porte et s'est mise à me parler de son activité d'énergéticienne. Elle me propose de lui fabriquer un attrape-rêves spécialisé pour les enfants autistes. Elle m'explique que ses techniques peuvent aider Automn à réaligner ses chakras. Elle me raconte ses expériences, les résultats spectaculaires obtenus sur d'autres enfants. Elle me donne son numéro de téléphone et me convainc de la rappeler bientôt. A ce stade, tout ce que je veux, c'est aider ma fille, alors pourquoi pas ?

La nouvelle d'AutomnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant