CHAPITRE 29: CE N'EST QUE LE DÉBUT

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Gabriel plia lentement le papier, le glissant avec précaution dans sa poche, comme si ce dernier fragment de Jordan pouvait encore le blesser physiquement. Chaque mot, chaque ligne, résonnait en lui comme une condamnation, une vérité qu'il n'était pas prêt à accepter. Il vacilla un instant, cherchant son souffle dans l'air glacial de la nuit parisienne. Les souvenirs affluaient à une vitesse déconcertante, se superposant à la réalité, distordant son jugement. Jordan, celui qu'il avait autrefois aimé, celui qu'il avait détruit — ou peut-être était-ce l'inverse?

Gabriel reprit sa route, les jambes lourdes, traînant presque sur le pavé. Les rues étaient désertes, seulement illuminées par des lampadaires fatigués qui projetaient des ombres démesurées. Chacune de ces ombres ressemblait à une figure familière, à un souvenir douloureux qu'il ne pouvait plus fuir.

"Je vais réapparaître comme une fleur..." murmura-t-il pour lui-même, répétant les mots de Jordan. Comment avait-il pu en arriver là? Comment deux personnes qui avaient partagé tant de moments, tant de passion, pouvaient-elles se détruire de cette manière? L'amour, il l'avait toujours cru, était une force indestructible. Mais peut-être avait-il sous-estimé la puissance de la haine, surtout celle qui naît de l'amour trahi.

Au détour d'une rue, Gabriel s'arrêta devant une vitrine. Son reflet lui renvoyait une image qu'il peinait à reconnaître. Les traits tirés, les yeux rouges, la bouche tremblante, il voyait dans ce miroir un homme brisé, bien loin de celui qu'il avait été, ou même de celui qu'il prétendait être. Un monstre. Jordan l'avait qualifié ainsi, et plus il y réfléchissait, plus il se disait qu'il n'avait peut-être pas tort.

Ses pensées dérivèrent vers Alex, cet être lumineux qui avait tenté de lui tendre la main à maintes reprises. Il l'avait repoussé, négligé, jusqu'à le pousser à une fin tragique. C'était son fardeau, sa croix à porter. Et maintenant, Jordan, autrefois un jeune garçon impétueux, devenait son juge, son bourreau.

"Je suis un monstre..." La phrase résonnait dans son esprit comme un écho incessant. Il ne savait plus si c'était une réalisation ou une malédiction. Peut-être les deux.

Au bout d'un moment, il se mit à courir à nouveau, comme si la vitesse pouvait effacer les souvenirs, la douleur, la culpabilité. Mais il savait au fond de lui qu'il ne pourrait jamais échapper à ce qu'il était devenu, ni à ce qu'il avait fait. Il finit par ralentir, épuisé, ses forces l'abandonnant une fois de plus.

Devant lui se dressait un pont, ses arches massives projetant des ombres sur la Seine en contrebas. Gabriel s'approcha du parapet, le regard plongé dans l'eau noire. Les remous hypnotiques semblaient l'appeler, comme une invitation silencieuse à en finir avec tout cela. Il sortit le petit papier de sa poche une dernière fois, le relisant dans le clair-obscur de la nuit.

"Sono pronto ad autodistruggermi..." murmura-t-il.

Il ferma les yeux, laissant le vent froid lui caresser le visage, prêt à céder à cette tentation sombre qui grondait en lui depuis trop longtemps.

Mais alors qu'il s'apprêtait à se laisser aller à l'abandon, une voix intérieure, celle d'un Gabriel plus jeune, plus insouciant, lui chuchota autre chose. Une lueur de vie, une volonté de survivre, même dans cette misère absolue, refit surface. Jordan avait peut-être raison. Ils étaient tous deux des monstres. Mais peut-être, juste peut-être, les monstres pouvaient-ils apprendre à vivre avec leurs ténèbres.

Il rangea le papier une dernière fois, tourna les talons et s'éloigna du bord. Il n'était pas encore prêt à disparaître. Pas encore.

Gabriel continua à marcher, s'éloignant du pont et du vide qui l'avait attiré un instant plus tôt. La pluie s'intensifiait, et chaque goutte lui paraissait comme un rappel cruel de sa solitude. Pourtant, une étrange détermination naissait en lui, une force qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps. Il n'était pas prêt à disparaître, mais il n'avait aucune idée de comment survivre à cette douleur. Peut-être qu'il n'avait pas besoin de réponses pour l'instant, juste de continuer à avancer, même si c'était dans l'obscurité.

VRAI CONFIANCE?(BARDELLAxATTAL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant